Page:Sand - Theatre complet 4.djvu/79

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LA HYONNAIS.

Henri ! ne doute pas de moi ! je t’appartiens si tu le veux !… Songe à tes autres amis et renonce à ce mariage d"argent !…

HENRI.

Il faudrait le pouvoir ; mais ma position est perdue… Tiens, tiens, ne me détourne pas de ce mariage, car c’est plus qu’un mariage de raison, c’est un mariage d’honneur !…

LA HYONNAIS.

Eh bien, laisse-moi te sauver, accepte de moi, je t’en supplie. C’est moi qui serai l’obligé, c’est moi qui te devrai une éternelle reconnaissance. Eh quoi !… ne comprends-tu pas que je suis un homme droit et simple !… que je place mon bonheur dans celui que je veux donner, et que… ?

HENRI, passant devant lui.

Non ! non !… tu ne me donnerais pas le bonheur ! tu ne comprends pas la vie comme moi, tu aimes l’étude abstraite et la vie uniforme. Moi, j’aime l’esprit facile et la vie qui rayonne. Il me faut du mouvement, de l’imprévu, des chevaux, des voyages. Tu peux t’absorber dans la science d’un bouquin poudreux ; moi, je n’aime à lire les poëtes que dans une reliure d’or et de soie. J’ai des fantaisies, des curiosités, des enthousiasmes plein la tête, et mon cœur ressent avec délices les ardeurs de mon cerveau ! Car j’aime… Oui, le besoin d’aimer me tourmente, et j’ai là comme une soif de tendresse et de dévouement !… Mais que sais-je ? j’aime peut-être en artiste !… Il faut de l’air, de l’espace, du luxe, de la poésie, de la sécurité surtout, autour de mon sanctuaire. Je ne comprends pas mon bonheur enfermé dans une petite chambre, cloué à un bureau, troublé des pertes de la la veille, effrayé des besoins du lendemain, comptant des sous dans un tiroir, des heures de travail à la pendule, des morceaux de pain sur ma table. Je rêvais d’associer Françoise à une existence digne d’elle et de moi… Mais la misère tue mes espérances ! Oui, la misère ! car j’en suis là, pour toujours, sache-le !… On me renie, on me dépouille !… Eh bien, puisqu’il ne me reste qu’un nom et un titre… puisque