Page:Sand - Theatre de Nohant.djvu/45

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dormir ! Tiens, j’ai cassé mon fil ! (Elle le raccommode.) Et d’ailleurs je ne veux plus penser à tout ça, j’en deviendrais malade !… (Elle s’assoupit ; le Drac noue le fil deux ou trois fois. S’éveillant.) Ah bien, j’en ai fait, des nœuds !… Où diantre j’avais-t-il la tête ?… C’est comme si j’étais enchantée ! Tout danse autour de moi ! (Elle s’endort.)

LE DRAC. (Bruit de la mer très-doux.)

« C’est l’heure charmante où mon esprit domine et persuade le tien, ô Francine, perle des rivages ! c’est l’heure où le soleil, plongé dans la mer, embrase encore le ciel rose où tremble l’étoile d’argent ; c’est l’heure du doute et du rêve, c’est l’heure de la vision ailée !

» Écoute la brise marine qui te berce et le faible remous du flot sur le sable : c’est la plainte du sylphe qui approche, c’est le soupir de l’esprit qui te cherche. Écoute le cri saccadé de la cigale attardée dans les roseaux : c’est l’ardent appel de l’époux mystérieux qui t’attend !

» Quitte cette terre de faiblesse et de souffrance, viens sur les flots toujours émus, toujours vivants ! viens avec ceux qui sont toujours jeunes. Je te conduirai dans le royaume des merveilles, dans le palais transparent des elfes, sous le dais de corail des ondines !

» Viens, et tu auras la science de toutes choses, tu liras dans la pensée de toutes les créatures, depuis la fantaisie de l’insecte qui vole de fleur en fleur jusqu’à la plus secrète pensée de l’homme ; tu entendras la respiration profonde de la pierre écrasée sous la pierre, tu comprendras le langage passionné du torrent qui se précipite et les suaves paroles qu’en son extase amoureuse l’alouette chante au soleil matinal !

» Viens, Francine… »

FRANCINE, rêvant.

Bernard ! tu m’appelles ?

LE DRAC.

Non, c’est moi ! c’est moi, le roi des songes, le drac aux ailes d’azur !