Page:Sand - Tour de Percemont.djvu/235

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néfices d’une réconciliation. Je n’aime pas manger beaucoup et longtemps, mais j’aime une table élégamment pourvue de mets d’un certain choix. Nos pensées, nos facultés, notre disposition intellectuelle et morale, dépendent beaucoup de la distinction ou de la grossièreté des aliments que nous avons ingérés. Ma femme, plus petite mangeuse encore que moi, fut presque gourmande ce jour-là, avec l’intention bien évidente pour moi de complimenter Émilie et de lui répéter qu’elle baissait pavillon devant elle.

Comme j’aime à étudier les caractères, et que tout m’est un indice, je remarquai que mademoiselle de Nives ne vivait que de crèmes, de fruits et de bonbons, tandis que madame Alix de Nives, avec sa maigreur et sa complexion grêle, avait le robuste appétit des avares quand ils dînent chez les autres. Le gros Jaquet engouffrait tout gaîment, avec un entrain sincère et florissant ; mais cette personne anguleuse, à la bouche serrée, au joli nez droit, trop plat en-dessous, avait l’air de faire avec soin dans son estomac la provision que les rongeurs font dans leur nid aux approches de l’hiver. Le vice est une chose laide, et la peinture en est maussade, parce qu’on ne peut se défendre d’en voir le côté sérieux ; mais, quand on s’est dépêtré de ses embûches, il est permis d’en apercevoir les côtés risibles et de s’en amuser intérieurement, comme je le faisais