Page:Sand - Valentine, CalmannLévy, 1912.djvu/101

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auprès de Valentine. Elle ne se fut pas plus tôt assurée de sa guérison qu’elle repartit pour Paris. En se sentant débarrassée des devoirs de la maternité, il lui sembla qu’elle rajeunissait de vingt ans. Valentine, désormais libre et souveraine dans son château de Raimbault, resta donc seule avec sa grand’mère, qui n’était pas, comme on sait, un mentor incommode.

Ce fut alors que Valentine désira se rapprocher réellement de sa sœur. Il ne fallait que l’assentiment de M. de Lansac ; car la marquise reverrait certainement avec joie sa petite-fille. Mais jamais M. de Lansac ne s’était prononcé assez franchement à cet égard pour inspirer de la confiance à Louise, et Valentine commençait aussi à douter beaucoup de la sincérité de son mari.

Néanmoins elle voulait à tout risque lui offrir un asile dans sa maison, et lui témoigner ostensiblement sa tendresse, comme une espèce de réparation de tout ce qu’elle avait souffert de la part de sa famille ; mais Louise refusa positivement.

— Non, chère Valentine, lui dit-elle, je ne souffrirai jamais que pour moi tu t’exposes à déplaire à ton mari. Ma fierté souffrirait de l’idée que je suis dans une maison d’où l’on pourrait me chasser. Il vaut mieux que nous vivions ainsi. Nous avons désormais la liberté de nous voir, que nous faut-il de plus ? D’ailleurs, je ne pourrais m’établir pour longtemps à Raimbault. L’éducation de mon fils est loin d’être finie, et il faut que je reste à Paris pour la surveiller encore quelques années. Là nous nous verrons avec plus de liberté encore ; mais que cette amitié reste entre nous un doux mystère. Le monde te blâmerait certainement de m’avoir tendu la main, ta mère te maudirait presque. Ce sont là des maîtres injustes qu’il faut craindre, et dont les lois ne seraient pas impunément bravées en face. Restons ainsi ; Bénédict a encore besoin de mes soins. Dans un mois au plus il faudra que je parte ; en attendant, je tâcherai de te voir tous les jours.

En effet, elles eurent de fréquentes entrevues. Il y avait dans le parc un joli pavillon où M. de Lansac avait demeuré durant son séjour à Raimbault ; Valentine le fit arranger pour s’en servir comme de cabinet d’étude. Elle y fit transporter des livres et son chevalet ; elle y passait une partie de ses journées, et, le soir, Louise venait l’y trouver et causer pendant quelques heures avec elle. Malgré ces précautions, l’identité de Louise était désormais bien constatée dans le pays, et le bruit avait fini par en venir aux oreilles de la vieille marquise. D’abord, elle en avait éprouvé un sentiment de joie aussi vif qu’il lui était possible de le ressentir, et s’était promis de faire venir sa petite-fille pour l’embrasser, car Louise avait été longtemps ce que la marquise aimait le mieux dans le monde ; mais la demoiselle de compagnie, qui était une personne prudente et posée, et qui dominait entièrement sa maîtresse, lui avait fait comprendre que madame de Raimbault finirait par apprendre cette démarche et qu’elle pourrait s’en venger.

— Mais qu’ai-je à craindre d’elle, à présent ? avait répondu la marquise. Ma pension ne doit-elle pas être désormais servie par Valentine ? Ne suis-je pas chez Valentine ? Et si Valentine voit sa sœur en secret, comme on l’assure, ne serait-elle pas heureuse de me voir partager ses intentions ?

— Madame de Lansac, répondit la vieille suivante, dépend de son mari, et vous savez bien que M. de Lansac et vous, n’êtes pas toujours fort bien ensemble. Prenez garde, madame la marquise, de compromettre par une étourderie l’existence de vos vieux jours. Votre petite-fille n’est pas très-empressée de vous voir, puisqu’elle ne vous a point fait part de son arrivée dans le pays ; madame de Lansac elle-même n’a pas jugé à propos de vous confier ce secret. Mon avis est donc que vous fassiez comme vous avez fait jusqu’ici, c’est-à-dire que vous ayez l’air de ne rien voir au danger où les autres s’exposent, et que vous tâchiez de maintenir votre tranquillité à tout prix.

Ce conseil avait dans le caractère même de la marquise un trop puissant auxiliaire pour être méconnu ; elle ferma donc les yeux sur ce qui se passait autour d’elle, et les choses en restèrent à ce point.

Athénaïs avait été d’abord fort cruelle pour Pierre Blutty, et pourtant elle avait vu avec un certain plaisir l’obstination de celui-ci à combattre ses dédains. Un homme comme M. de Lansac se fût retiré piqué dès le premier refus ; mais Pierre Blutty avait sa diplomatie qui en valait bien une autre. Il voyait que son ardeur à mériter le pardon de sa femme, son humilité à l’implorer, et le bruit un peu ridicule qu’il faisait devant trente témoins de son martyre, flattaient la vanité de la jeune fermière. Quand ses amis le quittèrent le soir de ses noces, quoi qu’il ne fût pas encore rentré en grâce en apparence, un sourire significatif qu’il échangea avec eux leur fit comprendre qu’il n’était pas aussi désespéré qu’il voulait bien le paraître. En effet, laissant Athénaïs barricader la porte de sa chambre, il imagina de grimper par la fenêtre. Il serait difficile de n’être pas touchée de la résolution d’un homme qui s’expose à se casser le cou pour vous obtenir, et le lendemain, à l’heure où l’on apporta, au milieu du repas, la nouvelle de la mort de Bénédict à la ferme de Pierre