Page:Sand - Valentine, CalmannLévy, 1912.djvu/116

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son cœur comme une lave ardente. Qu’il eût été assez hypocrite ou assez habile pour présenter l’adultère sous un jour mystique, et Valentine se perdait en invoquant le ciel.

Mais ce qui devait les préserver longtemps, c’était la candeur de ce jeune homme, en qui résidait vraiment une âme honnête. Il s’imaginait qu’au moindre effort pour ébranler la vertu de Valentine il devait perdre son estime et sa confiance, si péniblement achetées. Il ne savait pas qu’une fois engagée sur la pente rapide des passions on ne revient guère sur ses pas. Il n’avait pas la conscience de sa puissance ; l’eût-il eue, peut-être ne s’en serait-il pas servi, tant était droit et loyal encore cet esprit tout neuf et tout jeune.

Il fallait voir de quelles nobles fatuités, de quelles sublimes paradoxes ils sanctionnaient leur imprudent amour.

— Comment pourrais-je t’engager à manquer à tes principes, disait Bénédict à Valentine, moi qui te chéris pour cette force virile que tu m’opposes ! moi qui préfère ta vertu à ta beauté, et ton âme à ton corps ! moi qui te tuerais avec moi, si l’on pouvait m’assurer de te posséder immédiatement dans le ciel, comme les anges possèdent Dieu !

— Non, tu ne saurais mentir, lui répondait Valentine, toi que Dieu m’a envoyé pour m’apprendre à le connaître et à l’aimer, toi qui le premier m’as fait concevoir sa puissance et m’as enseigné les merveilles de la création. Hélas ! je la croyais si petite et si bornée ! Mais toi, tu as grandi le sens des prophéties, tu m’as donné la clef des poésies sacrées, tu m’as révélé l’existence d’un vaste univers dont le pur amour est le lien et le principe. Je sais maintenant que nous avons été créés l’un pour l’autre, et que l’alliance immatérielle contractée entre nous est préférable à tous les liens terrestres.

Un soir, ils étaient tous réunis dans le joli salon du pavillon. Valentin, qui avait une voix agréable et fraîche, essayait une romance ; sa mère l’accompagnait. Athénaïs, un coude appuyé sur le piano, regardait attentivement son jeune favori, et ne voulait point s’apercevoir du malaise qu’elle lui causait. Bénédict et Valentine, assis près de la fenêtre, s’enivraient des parfums de la soirée, de calme, d’amour, de mélodie et d’air pur. Jamais Valentine n’avait senti une si profonde sécurité. L’enthousiasme se glissait de plus en plus dans son âme, et, sous le voile d’une juste admiration pour la vertu de son amant, grandissait sa passion intense et rapide. La pâle clarté des étoiles leur permettait à peine de se voir. Pour remplacer ce chaste et dangereux plaisir que verse le regard, ils laissèrent leurs mains s’enlacer. Peu à peu, l’étreinte devint plus brûlante, plus avide ; leurs sièges se rapprochèrent insensiblement, leurs cheveux s’effleuraient et se communiquaient l’électricité abondante qu’ils dégagent ; leurs haleines se mêlaient, et la brise du soir s’embrasait autour d’eux. Bénédict, accablé sous le poids du bonheur délicat et pénétrant que recèle un amour à la fois repoussé et partagé, pencha sa tête sur le bord de la croisée et appuya son front sur la main de Valentine, qu’il tenait toujours dans les siennes. Ivre et palpitant, il n’osait faire un mouvement, de peur de déranger l’autre main qui s’était glissée sur sa tête, et qui se promenait moelleuse et légère, comme le souffle d’un follet, parmi les flots rudes et noirs de sa chevelure. C’était une émotion qui brisait sa poitrine et qui faisait refluer tout son sang à son cœur. Il y avait de quoi en mourir ; mais il serait mort plutôt que de laisser voir son trouble, tant il craignait d’éveiller les méfiances et les remords de Valentine. Si elle avait su quels torrents de délices elle versait dans son sein, elle se fût retirée. Pour obtenir cet abandon, ces molles caresses, ces cuisantes voluptés, il y fallait paraître insensible. Bénédict retenait sa respiration, et comprimait l’ardeur de sa fièvre. Son silence finit par gêner Valentine, elle lui parla à voix basse pour se distraire de l’émotion trop vive qui commençait à la gêner aussi.

— N’est-ce pas que nous sommes heureux, lui dit-elle, peut-être pour lui faire entendre ou pour se dire à elle-même qu’il ne fallait pas désirer de l’être davantage.

— Oh ! dit Bénédict, en s’efforçant malgré lui d’assurer le son de sa voix, il faudrait mourir ainsi !

Un pas rapide, qui traversait la pelouse et s’approchait du pavillon, retentit au milieu du silence. Je ne sais quel pressentiment vint effrayer Bénédict ; il serra convulsivement la main de Valentine et la pressa contre son cœur, qui battait aussi haut dans sa poitrine que le bruit inquiétant de ces pas inattendus. Valentine sentit le sien se glacer d’une peur vague, mais terrible ; elle retira brusquement ses mains et se dirigea vers la porte. Mais elle s’ouvrit avant qu’elle l’eût atteinte, et Catherine essoufflée parut.

— Madame, dit-elle d’un air empressé et consterné, M. de Lansac est au château !

Ce mot fit sur tous ceux qui l’entendirent le même effet qu’une pierre lancée au sein des ondes pures et immobiles d’un lac ; les cieux, les arbres, les délicieux paysages qui s’y reflétaient se brisent, se tordent et s’effacent ; un caillou a suffi pour faire rentrer dans le chaos toute une scène enchantée : ainsi fut rompue l’harmonie délicieuse qui