Page:Sand - Valentine, CalmannLévy, 1912.djvu/134

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gâtée à tout jamais ; mais il entra encore plus d’orgueil blessé que de tendresse maternelle dans sa douleur. Ce qui le prouve, c’est que le courroux l’emporta sur la pitié, et qu’elle partit pour l’Angleterre, afin, prétendit-elle, de s’étourdir sur ses chagrins, mais, en effet, pour se livrer à la dissipation sans être exposée à rencontrer des gens informés de ses malheurs domestiques, et disposés à critiquer sa conduite en cette occasion.

Tel fut le résultat de la dernière tentative de l’infortunée Valentine. La réponse de sa mère jeta une telle douleur dans son âme qu’elle absorba toutes ses autres pensées. Elle se mit à genoux dans son oratoire, et répandit son affliction en longs sanglots. Puis, au milieu de cette amertume affreuse, elle sentit ce besoin de confiance et d’espoir qui soutient les âmes religieuses ; elle sentit surtout ce besoin d’affection qui dévore la jeunesse. Haïe, méconnue, repoussée de partout, il lui restait encore un asile : c’était le cœur de Bénédict. Était-il donc si coupable, cet amour tant calomnié ? Dans quel crime l’avait-il donc entraînée ?

« Mon Dieu ! s’écria-t-elle avec ardeur, toi qui seul vois la pureté de mes désirs, toi qui seul connais l’innocence de ma conduite, ne me protégeras-tu pas ? te retireras-tu aussi de moi ? La justice que les hommes me refusent, n’est-ce pas en toi que je la trouverai ? Cet amour est-il donc si coupable ? »

Comme elle se penchait sur son prie-Dieu, elle aperçut un objet qu’elle y avait déposé comme l’ex-voto d’une superstition amoureuse ; c’était ce mouchoir teint de sang que Catherine avait rapporté de la maison du ravin le jour du suicide de Bénédict, et que Valentine lui avait réclamé ensuite en apprenant cette circonstance. En ce moment, la vue du sang répandu pour elle fut comme une victorieuse protestation d’amour et de dévouement, en réponse aux affronts qu’elle recevait de toutes parts. Elle saisit le mouchoir, le pressa contre ses lèvres, et, plongée dans une mer de tourments et de délices, elle resta longtemps immobile et recueillie, ouvrant son cœur à la confiance, et sentant revenir cette vie ardente qui dévorait son être quelques jours auparavant.



XXXVI.

Bénédict était bien malheureux depuis huit jours. Cette feinte maladie, dont Louise ne savait lui donner aucun détail, le jetait dans de vives inquiétudes. Tel est l’égoïsme de l’amour, qu’il aimait encore mieux croire au mal de Valentine que de la soupçonner de vouloir le fuir. Ce soir-là, poussé par un vague espoir, il rôda longtemps autour du parc ; enfin, maître d’une clef particulière que l’on confiait d’ordinaire à Valentin, il se décida à pénétrer jusqu’au pavillon. Tout était silencieux et désert dans ce lieu naguère si plein de joie, de confiance et d’affection. Son cœur se serra ; il en sortit, et se hasarda à entrer dans le jardin du château. Depuis la mort de la vieille marquise, Valentine avait supprimé plusieurs domestiques. Le château était donc peu habité. Bénédict en approcha sans rencontrer personne.

L’oratoire de Valentine était situé dans une tourelle vers la partie la plus solitaire du bâtiment. Un petit escalier en vis, reste des anciennes constructions sur lesquelles le nouveau manoir avait été bâti, descendait de sa chambre à l’oratoire, et de l’oratoire au jardin. La fenêtre, cintrée et surmontée d’ornements dans le goût italien de la renaissance, s’élevait au-dessus d’un massif d’arbres dont la cime s’empourprait alors des reflets du couchant. La chaleur du jour avait été extrême ; des éclairs silencieux glissaient faiblement sur l’horizon violet, l’air était rare et comme chargé d’électricité ; c’était un de ces soirs d’été où l’on respire avec peine, où l’on sent en soi une excitation nerveuse extraordinaire, où l’on souffre d’un mal sans nom qu’on voudrait pouvoir soulager par des larmes.

Parvenu au pied du massif en face de la tour, Bénédict jeta un regard inquiet sur