Page:Sand - Valentine, CalmannLévy, 1912.djvu/90

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portait l’anneau nuptial, le premier anneau d’une chaîne pesante et indissoluble. Bénédict eût pu l’ôter et l’anéantir, il ne le voulut point ; son âme était revenue à des impressions plus douces ; il voulait respecter dans Valentine jusqu’à l’emblème de ses devoirs.

Car dans cette délicieuse extase, il avait bientôt oublié tout. Il se crut heureux et plein d’avenir comme aux beaux jours de la ferme ; il s’imagina que la nuit ne devait pas finir, et que Valentine ne devait pas s’éveiller, et qu’il accomplissait là son éternité de bonheur.

Longtemps cette contemplation fut sans danger : les anges sont moins purs que le cœur d’un homme de vingt ans lorsqu’il aime avec passion ; mais il tressaillit lorsque Valentine, émue par un de ces rêves heureux que crée l’opium, se pencha doucement vers lui et pressa faiblement sa main en murmurant des paroles indistinctes. Bénédict tressaillit et s’éloigna du lit, effrayé de lui-même.

— Oh ! Bénédict ! lui dit Valentine d’une voix faible et lente, Bénédict, c’est vous qui m’avez épousée aujourd’hui ? Je croyais que c’était un autre ; dites-moi bien que c’est vous !…

— Oui, c’est moi, c’est moi ! dit Bénédict éperdu, en pressant contre son cœur agité cette main qui cherchait la sienne.

Valentine, à demi éveillée, se dressa sur son chevet, ouvrit les yeux, et fixa sur lui des prunelles pâles qui flottaient dans le vague des songes. Il y eut comme un sentiment d’effroi sur ses traits ; puis elle referma les yeux et retomba en souriant sur son oreiller.

— C’est vous que j’aimais, lui dit-elle ; mais comment l’a-t-on permis ?

Elle parlait si bas et articulait si faiblement que Bénédict recueillait lui-même ses paroles comme le murmure angélique qu’on entend dans les songes.

— Ô ma bien-aimée ! s’écria-t-il en se penchant vers elle, dites-le-moi encore, dites-le-moi, pour que je meure de joie à vos pieds !

Mais Valentine le repoussa.

— Laissez-moi ! dit-elle.

Et ses paroles devinrent inintelligibles.

Bénédict crut comprendre qu’elle le prenait pour M. de Lansac. Il se nomma plusieurs fois avec insistance, et Valentine, flottant entre la réalité et l’illusion, s’éveillant et s’endormant tour à tour, lui dit ingénument tous ses secrets. Un instant elle crut voir M. de Lansac qui la poursuivait une épée à la main ; elle se jeta dans le sein de Bénédict, et passant ses bras autour de son cou :

— Mourons tous deux ! lui dit-elle.

— Oh ! tu as raison, s’écria-t-il. Sois à moi, et mourons.

Il posa ses pistolets sur le guéridon, et étreignit dans ses bras le corps souple et languissant de Valentine. Mais elle lui dit encore :

— Laisse-moi, mon ami ; je meurs de fatigue, laisse-moi dormir.

Elle appuya sa tête sur le sein de Bénédict, et il n’osa faire un mouvement de peur de la déranger. C’était un si grand bonheur que de la voir dormir dans ses bras ! Il ne se souvenait déjà plus qu’il en pût exister un autre.

— Dors, dors, ma vie ! lui disait-il en effleurant doucement son front avec ses lèvres ; dors, mon ange. Sans doute tu vois la Vierge aux cieux ; et elle te sourit, car elle te protège. Va, nous serons unis là-haut !

Il ne put résister au désir de détacher doucement son bonnet de dentelle, et de répandre sur elle et sur lui cette magnifique chevelure d’un blond cendré qu’il avait regardée tant de fois avec amour. Qu’elle était soyeuse et parfumée ! que son frais contact allumait chez lui de délire et de fièvre ! Vingt fois il mordit les draps de Valentine et ses propres mains pour s’arracher, par la sensation d’une douleur physique, aux emportements de sa joie. Assis sur le bord de cette couche dont le linge odorant et fin le faisait frissonner, il se jetait rapidement à genoux pour reprendre empire sur lui-même, et il se bornait à la regarder. Il l’entourait chastement des mousselines brodées qui protégeaient son jeune sein si paisible et si pur ; il ramenait même un peu le rideau sur son visage pour ne plus la voir et trouver la force de s’en aller. Mais Valentine, éprouvant ce besoin d’air qu’on ressent dans le sommeil, repoussait cet obstacle, et, se rapprochant de lui, semblait appeler ses caresses d’un air naïf et confiant. Il soulevait les tresses de ses cheveux et en remplissait sa bouche pour s’empêcher de crier ; il pleurait de rage et d’amour. Enfin, dans un instant de douleur inouïe, il mordit l’épaule ronde et blanche qu’elle livrait à sa vue. Il la mordit cruellement, et elle s’éveilla, mais sans témoigner de souffrance. En la voyant se dresser de nouveau sur son lit, le regarder avec plus d’attention, et passer sa main sur lui pour s’assurer qu’il n’était point un fantôme, Bénédict, qui était alors assis tout à fait auprès d’elle, se crut perdu ; tout son sang, qui bouillonnait, se glaça ; il devint pâle, et lui dit, sans savoir ce qu’il disait :

— Valentine, pardon ; je me meurs, si vous n’avez pitié de moi…

— Pitié de toi ! lui dit-elle avec la voix forte et brève du somnambulisme ; qu’as-tu ? souffres-tu ? Viens dans mes bras comme tout à l’heure ; viens. N’étais-tu pas heureux ?

— Ô Valentine ! s’écria Bénédict devenu fou, dis-tu vrai ? Me reconnais-tu ? Sais-tu qui je suis ?