Page:Sand - Valvèdre.djvu/163

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C’est Dieu qui vous a envoyé à moi, au moment où la douleur de me séparer de mon fils aîné allait m’achever. Quand il me faudra quitter le second, j’aurai la compassion de vivre plus longtemps, peut-être tout à fait près de vous, parce qu’alors j’aurai le droit de dire à mon mari : « Je suis seule, je n’ai plus rien qui m’attache à ma maison. Laissez-moi vivre où je voudrai. » Je feindrai d’aimer Rome, Paris ou Londres, et tous deux, inconnus, perdus au sein d’une grande ville, nous nous verrons tous les jours. Je saurai très-bien me passer de luxe. Le mien m’ennuie affreusement, et tout mon rêve est une chaumière au fond des Alpes ou une mansarde dans une grande cité, pourvu que j’y sois aimée véritablement.

Nous nous séparâmes sur ces projets, qui n’avaient rien de trop invraisemblable. Je m’engageai à sacrifier toutes mes répugnances, à assister au mariage d’Obernay à Genève, à être présenté, par conséquent, à M. de Valvèdre.

J’étais si éloigné de ce dernier parti, que, quand Alida m’eut quitté, je faillis courir après elle pour reprendre ma parole ; mais je fus retenu par la crainte de lui sembler égoïste. Je ne pouvais la revoir qu’à ce prix, à moins de risquer à chaque rencontre de la brouiller avec son mari, avec l’opinion, avec la société tout entière. Je continuai mon voyage ; mais, au lieu de parcourir les montagnes, je pris le plus court pour me rendre à Altorf, et j’y restai. C’est là qu’Alida devait m’adresser ses lettres. Et que m’importait tout le