Page:Sand - Valvèdre.djvu/241

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Tout semblait paisible chez eux ; Alida ne s’approchait jamais du mur, tant elle craignait de provoquer une imprudence de ma part ou d’attirer les soupçons en se réconciliant avec cet endroit qu’elle avait proscrit comme trop exposé au soleil. J’entendais souvent les jeux bruyants de ses fils et la voix posée des vieux parents qui encourageait ou modérait leur impétuosité. Alida caressait tendrement l’aîné, mais ne causait jamais ni avec l’un ni avec l’autre.

Sans pouvoir la suivre des yeux, car le devant de la maison était masqué par des massifs d’arbustes, je sentais l’isolement de sa vie dans cet intérieur si assidûment et saintement occupé. Je l’apercevais quelquefois, lisant un roman ou un poëme entre deux caisses de myrte, ou bien, de ma fenêtre, je la voyais à la sienne, regardant de mon côté et pliant une lettre qu’elle avait écrite pour moi. Elle était étrangère, il est vrai, au bonheur des autres, elle dédaignait et méconnaissait leurs profondes et durables satisfactions ; mais c’est de moi seul, ou d’elle-même en vue de moi seul, qu’elle était incessamment préoccupée. Toutes ses pensées étaient à moi, elle oubliait d’être amie et sœur, et même presque d’être mère, tout cela pour moi, son tourment, son dieu, son ennemi, son idole ! Pouvais-je trouver le blâme dans mon cœur ? Et cet amour exclusif n’avait-il pas été mon rêve ?

Tous les matins, un peu avant l’aube, nous échangions nos lettres au moyen d’un caillou que Bianca