Page:Sand - Valvèdre.djvu/249

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» Ceci se passait bien peu de temps après notre mariage. Je ne m’en inquiétai pas assez. Je crus à l’excitation nerveuse qui suit les grandes crises de la vie. Bientôt je vis qu’elle était grosse et un peu faible de complexion pour traverser sans défaillance le redoutable et divin drame de la maternité. Je m’attachai à ménager une sensibilité excessive, à ne la contredire sur rien, à prévenir tous ses caprices. Je me fis son esclave, je me fis enfant avec elle, je cachai mes livres, je renonçai presque à l’étude. J’admis toutes ses hérésies en quelque sorte, puisque je lui laissai toutes ses erreurs. Je remis à un temps plus favorable cette éducation de l’âme dont elle avait tant besoin. Je me flattai aussi que la vue de son enfant lui révélerait Dieu et la vérité beaucoup mieux que mes leçons.

» Ai-je eu tort de ne pas chercher plus vite à l’éclairer ? J’éprouvais de grandes perplexités ; je voyais bien qu’elle se consumait dans le rêve d’un bonheur puéril et d’impossible durée, tout d’extase et de parlage, de caresses et d’exclamations, sans rien pour la vie de l’esprit et pour l’intimité véritable du cœur. J’étais jeune et je l’aimais : je partageais donc tous ses enivrements et me laissais emporter par son exaltation ; mais, après, sentant que je l’aimais davantage, j’étais effrayé de voir qu’elle m’aimait moins, que chaque accès de cet enthousiasme la rendait ensuite plus soupçonneuse, plus jalouse de ce qu’elle appelait mon idée fixe, plus amère devant mon silence, plus railleuse de mes définitions.