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MŒURS FIN DE SIÈCLE

Lorsque Mauri s’éveilla, sa surprise de se retrouver incorporel fut extrême, et ce n’est qu’après un labeur pénible de l’esprit qu’il parvint à se reconnaître. Le train filait à toute vitesse ; où le conduisait-il ? Ce devait être en Espagne, pour la constatation des gisements d’argent. Il ne se souvenait plus. Il ne se comprenait pas. Il se tâta et l’endolorissement général de son corps lui arracha des gémissements. Tout l’étonna, son compartiment, le bruit du convoi, la nuit, les étoiles, la trépidation du véhicule. Il regarda : tout lui paraissait nouveau, même ses mains, même ses jambes, même ses pieds. Il se demanda : D’où viens-je ? Qui suis-je ? et il ne put répondre à aucune de ses questions. Un travail étrange s’opérait en lui ; sa gorge sèche le faisait bâiller, et une surabondance de vie menaçait de le faire éclater en fragments. Et une très vague conscience de soi-même le persuada qu’il se différenciait beaucoup de ses semblables.