Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/137

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fié en français « mépris », cela ne l’empêche pas d’avoir actuellement un sens tout différent ; étymologie et valeur synchronique sont deux choses distinctes. De même encore, la grammaire traditionnelle du français moderne enseigne que, dans certains cas, le participe présent est variable et s’accorde comme un adjectif (cf. « une eau courante »), et que dans d’autres il est invariable (cf. « une personne courant dans la rue »). Mais la grammaire historique nous montre qu’il ne s’agit pas d’une seule et même forme : la première est la continuation du participe latin (currentem) qui est variable, tandis que l’autre vient du gérondif ablatif invariable (currendō)[1]. La vérité synchronique contredit-elle à la vérité diachronique, et faut-il condamner la grammaire traditionnelle au nom de la grammaire historique ? Non, car ce serait ne voir que la moitié de la réalité ; il ne faut pas croire que le fait historique importe seul et suffit à constituer une langue. Sans doute, au point de vue des origines, il y a deux choses dans le participe courant ; mais la conscience linguistique les rapproche et n’en reconnaît plus qu’une : cette vérité est aussi absolue et incontestable que l’autre.

b) La vérité synchronique concorde tellement avec la vérité diachronique qu’on les confond, ou bien l’on juge superflu de les dédoubler. Ainsi on croit expliquer le sens actuel du mot père en disant que pater avait la même signification. Autre exemple : a bref latin en syllabe ouverte non initiale s’est changé en i ; à côté de faciō on a conficiō, à côté de amīcus, inimĭcus, etc. On formule souvent la loi en disant que le a de faciō devient i dans conficiō, parce qu’il n’est plus dans la première syllabe. Ce n’est pas exact : jamais le a de faciō n’est « devenu » i dans conficiō. Pour rétablir la vérité, il faut distinguer deux époques et qua-

  1. Cette théorie, généralement admise, a été récemment combattue par M. E. Lerch (Das invariable Participium praesenti, Erlangen 1913), mais, croyons-nous, sans succès ; il n’y avait donc pas lieu de supprimer un exemple qui, en tout état de cause, conserverait sa valeur didactique (Ed.).