Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/258

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combinaisons trop diverses pour être réductibles à des règles (cf. tu-er, régn-er, guid-er, grond-er, souffl-er, tard-er, entr-er, hurl-er, etc.). Il ne faut donc pas s’étonner si le sentiment de la racine est fort peu développé en français.

La détermination de la racine entraîne par contre-coup celle des préfixes et suffixes. Le préfixe précède la partie du mot reconnue comme radicale, par exemple hupo- dans le grec hupo-zeúgnūmi. Le suffixe est l’élément qui s’ajoute à la racine pour en faire un radical (exemple : zeug-mat-), ou à un premier radical pour en faire un du second degré (par exemple zeugmat-io-). On a vu plus haut que cet élément, comme la désinence, peut être représenté par zéro. L’extraction du suffixe n’est donc qu’une autre face de l’analyse du radical.

Le suffixe a tantôt un sens concret, une valeur sémantique, comme dans zeuk-tēr-, où -tēr- désigne l’agent, l’auteur de l’action, tantôt une fonction purement grammaticale, comme dans zeúg-nū(-mi), où -nū- marque l’idée de présent. Le préfixe peut aussi jouer l’un et l’autre rôle, mais il est rare que nos langues lui donnent la fonction grammaticale ; exemples : le ge- du participe passé allemand (ge-setzt, etc.), les préfixes perfectifs du slave (russe na-pisát’, etc.).

Le préfixe diffère encore du suffixe par un caractère qui, sans être absolu, est assez général : il est mieux délimité, parce qu’il se détache plus facilement de l’ensemble du mot. Cela tient à la nature propre de cet élément ; dans la majorité des cas, ce qui reste après élimination d’un préfixe fait l’effet d’un mot constitué (cf. recommencer : commencer, indigne : digne, maladroit : adroit, contrepoids : poids, etc.). Cela est encore plus frappant en latin, en grec, en allemand. Ajoutons que plusieurs préfixes fonctionnent comme mots indépendants : cf. franç. contre, mal, avant, sur, all. unter, vor, etc., grec katá, pró, etc. Il en va tout autrement