Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/280

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haut allemand, où commence le plattdeutsch, de même il est impossible de tracer une ligne de démarcation entre l’allemand et le hollandais, entre le français et l’italien. Il y a des points extrêmes où l’on dira avec assurance : « Ici règne le français, ici l’italien » ; mais dès qu’on entre dans les régions intermédiaires, on voit cette distinction s’effacer ; une zone compacte plus restreinte, qu’on imaginerait pour servir de transition entre les deux langues, comme par exemple le provençal entre le français et l’italien, n’a pas plus de réalité. Comment d’ailleurs se représenter, sous une forme ou une autre, une limite linguistique précise sur un territoire couvert d’un bout à l’autre de dialectes graduellement différenciés ? Les délimitations des langues s’y trouvent noyées, comme celles des dialectes, dans les transitions. De même que les dialectes ne sont que des subdivisions arbitraires de la surface totale de la langue, de même la limite qui est censée séparer deux langues ne peut être que conventionnelle.

Pourtant les passages brusques d’une langue à une autre sont très fréquents : d’où proviennent-ils ? De ce que des circonstances défavorables ont empêché ces transitions insensibles de subsister. Le facteur le plus troublant est le déplacement des populations. Les peuples ont toujours connu des mouvements de va-et-vient. En s’accumulant au cours des siècles, ces migrations ont tout embrouillé, et sur beaucoup de points le souvenir des transitions linguistiques s’est effacé. La famille indo-européenne en est un exemple caractéristique. Ces langues ont dû être au début dans des rapports très étroits et former une chaîne ininterrompue d’aires linguistiques dont nous pouvons reconstituer les principales dans leurs grandes lignes. Par ses caractères, le slave chevauche sur l’iranien et le germanique, ce qui est conforme à la répartition géographique de ces langues ; de même le germanique peut être considéré comme un anneau intermédiaire entre le slave et le celtique, qui à son tour a