Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/286

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sage de þ à d a été général, tandis que le changement de t en ts (z) n’a atteint que le sud ; l’esprit de clocher a créé une opposition entre le sud et le nord ; mais, à l’intérieur de ces limites, grâce à l’intercourse, il y a solidarité linguistique. Ainsi en principe il n’y a pas de différence fondamentale entre ce second phénomène et le premier. Les mêmes forces sont en présence ; seule l’intensité de leur action varie.

Cela signifie que pratiquement, dans l’étude des évolutions linguistiques produites sur une surface, on peut faire abstraction de la force particulariste, ou, ce qui revient au même, la considérer comme l’aspect négatif de la force unifiante. Si celle-ci est assez puissante, elle établira l’unité sur la surface entière ; sinon le phénomène s’arrêtera en chemin, ne couvrant qu’une partie du territoire ; cette aire restreinte n’en représentera pas moins un tout cohérent par rapport à ses propres parties. Voilà pourquoi on peut tout ramener à la seule force unifiante sans faire intervenir l’esprit de clocher, celui-ci n’étant pas autre chose que la force d’intercourse propre à chaque région.

§ 3.

La différenciation linguistique sur des territoires séparés.

Quand on s’est rendu compte que, dans une masse unilingue, la cohésion varie selon les phénomènes, que les innovations ne se généralisent pas toutes, que la continuité géographique n’empêche pas de perpétuelles différenciations, alors seulement on peut aborder le cas d’une langue qui se développe parallèlement sur deux territoires séparés.

Ce phénomène est très fréquent : ainsi dès l’instant où le germanique a pénétré du continent dans les Îles Britanniques, son évolution s’est dédoublée ; d’un côté, les dialectes allemands ; de l’autre, l’anglo-saxon, d’où est sorti l’anglais. On peut citer encore le français transplanté au