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SUR UN POINT DE LA PHONETIQUE DES CONSONNES EN INDO-EUROPÉEN
(Mémoires de la Société de Linguistique, VI, p. 246. — 1889.)

Le germanique *feþrŏ (v. norr. fjödr, v. h.-a. fēdara, anglo-s. feđer) «aile, plume, et nageoire» suppose un européen *petra- ou *petro-, qui paraît aussi avoir laissé une trace en grec, dans le ὑποπετρίδιος d’Alcman[1].

Petro-, l’aile, peut se décomposer en pet + ro, et ne donne lieu dans ce cas à aucune remarque ultérieure.

Toutefois comment se défendre de l’idée que le mot désignant l’organe du vol a quelque chance de contenir le suffixe habituel des noms d’instrument, le suffixe -tro-? Alors petro représenterait PET + TRO. Cette supposition, sans doute, a le tort de contrevenir à un article élémentaire des manuels de phonétique, selon lequel un tel prototype n’aurait pu aboutir qu’à «festrō» en germanique et à «πέστρον» en grec. Mais examinons ce que vaut la règle édictée d’une façon si absolue.

Il est incontestable que devant voyelle la rencontre de deux dentales se traduit toujours dans les langues d’Europe par un pho- nème double, où figure une sifflante: la question soulevée par pet-rom est de savoir s’il en est de même devant consonne. Les consonnes qui entrent en ligne de compte sont uniquement r, l, y, w, m, n (les autres ne se présentant point dans la position dont il s’agit), et l’hypothèse à étudier se formulerait comme suit:

«Devant une consonne (r, l, y, w, m, n), les produits d’une occlusive dentale double et d’une occlusive dentale simple sont identiques (pet + tro engendrerait la même chose que pet + ro).»

La vérification, si elle est possible, ne peut être livrée ni par *petrom ni par aucun autre exemple reposant sur une racine en t, car il sera toujours loisible en ce cas de prétendre qu’il n’y a qu’une seule dentale en jeu, celle de la racine.

  1. Voir Curtius, Grundz.4, p. 700.