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tandis que la terre tourne

Une langue de pain gris comme les cigales
Pour prendre son repas d’ail et de noix frugales.
Après, les doigts placés sur la flûte en fer-blanc,
Il a dit la journée et le bouc reniflant
Le sol, le roc poreux que le torrent irrigue,
Les chèvres dont les pis sont bleus comme des figues,
La châtaigne encor verte en sa touffe de crins,
Le chêne avec son gland, l’aube avec ses écrins,
L’âne au mufle graisseux, le nombre des sonnailles
Et le soleil coiffé d’un chapelet de pailles.
Il a dit le nid sec où glisse le lézard
Qui cloute de cristal son fourreau de brocard ;
Il a dit le silence et son âme exilée
Avec le bélier cher dont la corne est bouclée.
Puis, lentement, le soir lunaire est descendu ;
Les moutons ont bêlé d’effroi, le col tendu ;
L’essaim des feuilles s’est resserré sur les branches,
Et le ciel a pleuré des flots d’étoiles blanches.
Alors, plein de langueur, le bétail s’est couché,
Chaque agneau dans le sein de sa mère niché ;
Et dans l’air, se mêlant aux effluves acides,
Montèrent à doux bruit les haleines placides.