Page:Savignon - Filles de la pluie.djvu/301

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Alors, tous entonnèrent une chanson et leurs voix résonnèrent vers Pern et le Runiou ; une chanson qu’on entendait jusque sous les toits endormis, une chanson inconnue dans l’île, et dont Rosa Jourdren dit plus tard « qu’on n’aurait pas osé en répéter un mot. »

Salomé chantait aussi. Mais ses traits étaient durs et ses yeux avaient un regard mauvais qui échappait à l’ivresse de ses compagnons. Elle les haïssait, ces étrangers, ceux-là comme tous les autres, ceux qu’elle avait connus précédemment, et tout ce qui venait d’eux. Et ce soir, sa pensée haineuse s’étendait jusqu’au continent, jusqu’aux mers lointaines qui lui avaient enlevé son mari, jusqu’à tout, jusqu’à cette fatalité mystérieuse qui avait causé sa perte comme celle de tant de ses sœurs, la corruption de l’île, enfin.

Et pendant qu’on répétait le refrain maudit, Salomé, arrêtant les rameurs inexperts, avait pris un aviron pour godiller. Elle s’était dressée à l’arrière du bateau, et son corps s’inclinait gracieux, dans le rythme particulier de la nage. L’embarcation glissa vers le Corce qui découpait son ombre immense sur les eaux argentées par la lune. À vingt brasses de l’îlot, une roche que Salomé pouvait seule reconnaître, aux tour-