Page:Say - Œuvres diverses.djvu/655

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habit pour se faire donner ce dont il avait envie, ou seulement pour que je fisse attention à lui.

De l’autre côté, Fifi avait pour voisine une dame dont la robe était très-fraîche : d’un mouvement de tête il renversa sur elle une sauce qu’apportait un domestique. À peine avais-je eu le temps de déplorer le sort de cette pauvre dame, que je reçus sur ma culotte et sur mon gilet tout un verre de vin, de la façon du petit bonhomme. J’en fus mouillé jusqu’à la chemise ; et tout en feignant de n’en être pas fort en peine, ce qui n’aurait pas été de bonne compagnie, j’enrageais au fond du cœur.

Je ne saurais vous dire en détail tous les désagréments que me causa le voisinage de Fifi. Il se mettait à l’aise de plus d’une manière. On se regardait ; on se détournait ; on lançait contre lui dans la conversation des traits qui auraient été très-sensibles à un enfant bien élevé ; mais ils glissaient sur Fifi, et la mère les regardait comme l’effet d’une sévérité ridicule et fâcheuse.

Enfin, cet éternel dîner se termina. On rentra dans le salon, on prît du café. J’étais debout, je tenais ma tasse d’une main, ma soucoupe de l’autre, lorsque mon diable d’enfant se mit à jouer avec les breloques de ma montre. Je voulais l’éviter ; je me reculais, mais je ne fis que hâter mon sort ; il cassa un charmant petit cœur en or qui m’était cher à plus d’un titre, et qui me rappelait sans cesse celle qui me l’a donné, et les circonstances qui accompagnèrent ce don. La charnière de ce bijou, en se brisant, laissa tomber une petite gerbe de cheveux liés par une chaînette ; le petit scélérat s’en empara, et se sauva en criant : Tiens ! tiens ! un petit balai, un petit balai.

Je courus après lui : Mon ami, rendez-moi ce que vous tenez. Je ne veux pas qu’on le prenne. Mais en vain ; il enfila l’antichambre, l’escalier, la cuisine, adieu ma gerbe de cheveux ; gerbe précieuse, et que je ne peux, hélas ! remplacer. Quand il revint, on feignit bien de le gronder ; mais, dans le fond, la maman prenait bien plus d’intérêt aux plaisirs de Fifi qu’à ma gerbe chérie.

Ce fut pourtant une consolation pour moi d’entendre quelqu’un de très-bon sens et plus courageux que les autres, adresser tout bas la parole à madame *** et lui dire que sa faiblesse était impardonnable, et qu’elle devrait corriger sévèrement son enfant plutôt que de souffrir qu’il jouât d’aussi vilains tours à une personne de sa société. Que croyez-vous qu’elle lui répondit ? C’est bien vrai ; mais je n’ai jamais eu le courage d’entendre pleurer mon fils.

Je ne sais quel sot de la compagnie s’amusa à jouer avec l’enfant ; ils coururent l’un après l’autre, se cachèrent derrière les fauteuils, les tables, les portes. Fifi s’enveloppait sans discrétion dans les robes, dans les habits : c’était des éclats de rire, des cris de joie à rendre les gens