Page:Say - Œuvres diverses.djvu/659

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À la fin du spectacle, les deux disputeurs, entraînés jusqu’au foyer par un tourbillon de bons amis qui les excitaient l’un contre l’autre, recommencèrent leur débat. « Il y a eu un soufflet donné, disaient les uns. — Ce n’est qu’un coup de poing, répondaient les autres. — Je ne m’en défends pas.Vous en avez menti. » — Puis on reprenait : « Mon cher, vous seriez bien bon de laisser passer un affront comme celui-là.Ce n’est pas possible, ajoutait un quatrième. — Moi, je suis prêt à me battre, disait l’antagoniste de Favelle. » On lui faisait observer qu’il disait cela d’un ton à faire croire qu’il voulait éluder le combat ; on l’excitait par mille impertinences de cette espèce.

Cependant Favelle, qui avait plus d’empire sur lui que beaucoup d’autres n’en auraient eu à sa place, s’adressant à son adversaire, lui dit : « Citoyen, quand nous nous battrions, cela ne ferait de bien à personne : vous dites que je vous ai insulté ; cela peut être : dans ce moment-là nous étions l’un et l’autre fort animés pour un sujet qui n’en valait peut-être pas la peine… — Ah ! il se rétracte, dirent les amis de la partie adverse. — Point du tout, Messieurs ; s’il y a des torts, ils sont au moins égaux des deux parts… — Eh bien, à quoi bon tant de paroles ? allez-vous nous faire de la morale ? Monsieur est insulté, voilà le fait ; c’est un préjugé tant qu’il vous plaira ; mais il n’en passera pas moins pour un lâche s’il n’en demande pas raison ; l’honneur le lui commande… — L’honneur ne lui commande rien. — Laisse-le donc, disait un troisième, ne vois-tu pas qu’il a peur de se battre ? — Non, Messieurs, dit à ce mot Favelle, je n’ai pas peur ; le combat ne saurait maintenant s’éviter, c’est moi qui le provoque. » Alors les amis de Favelle d’applaudir. « On m’accuse d’avoir peur, ajouta-t-il, et quoique dans mon opinion ce ne soit point une bassesse d’aimer la vie, je veux prouver à ces messieurs qu’ils ont eu tort de m’insulter. À demain, Monsieur, à huit heures. — De tout mon cœur. »

Les témoins charmés eurent bientôt arrangé entre eux le surplus de l’affaire. Le lieu du rendez-vous fut l’Allée des Veuves, aux Champs-Élysées ; l’arme, le pistolet. Les témoins devaient se rendre dans un café désigné. Ces bons amis devaient fournir les pistolets, les charger, enfin tout préparer pour que la chose se passât au mieux.

Favelle arriva le premier sur le lieu du combat. Son âme était fort agitée : il ne s’était jamais battu en duel. « Jouer sa vie à pair ou non, se disait-il à lui-même en se promenant les bras croisés, la tête penchée en avant ; mourir sans utilité comme sans gloire !… Quoi ! les railleries de quelques écervelés, sans doute moins courageux que moi, font plus d’impression sur mon esprit que ma famille, que mes amis. Mes amis ! j’en vais perdre qui m’estiment, je vais abandonner mes projets d’instruction, les cours que j’ai commencés, les travaux auxquels je me suis livré déjà avec quelque succès, bien plus, l’espoir d’être utile