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DU COMMERCE 116 BALANCE DU COMMERCE

comme un gain dans le premier cas, ou comme une perte dans le second  ? Sa valeur n’est-elle pas représentée dans les deux cas par des marchandises livrées pour être consommées ou transformées  ? Personne assurément ne voudrait soutenir que lorsque le blé est à 20 francs l’hectolitre, les boulangers perdent autant de fois 20 francs qu’ils achètent d’hectolitres de blé, ou que l’ingénieurconstructeur qui achète mille quintaux de fonte perd le montant de cet achat. Tout le monde comprend aujourd’hui l’incohérence de ce raisonnement, car chacun sait que le boulanger ou le constructeur, en échangeant une valeur en numéraire contre une valeur égale en blé ou en fonte, n’ont fait que modifier selon leurs convenances et dans l’espoir d’un bénéfice la forme de la valeur qu’ils possédaient et qu’ils n’ont rien perdu dans cette opération, en admettant, bien entendu, qu’ils aient agi avec circonspection, sans dépasser les limites de leur crédit. Qu’ils aient tiré du blé ou de la fonte de l’étranger, ou qu’ils l’aient pris dans le pays, cela peut-il changer pour eux les résultats du marché  ?

Pourvu que les qualités et les prix des objets achetés soient exactement les mômes, que leur importe la provenance  ? Il est donc bien évident que la circonstance d’avoir reçu ces objets de l’étranger ne saurait leur imposer aucune perte. Or, lorsque dans son commerce extérieur un pays se trouve avoir plus acheté que vendu, cela signifie simplement qu’il a convenu à une partie de la population de ce pays et, par exemple, aux boulangers, aux forgerons, aux charpentiers, aux cordonniers, d’échanger leur numéraire contre du blé, du fer, du bois ou des cuirs ; chacun d’eux, en particulier, est bien persuadé qu’il possède, sous ces dernières formes, une valeur au moins équivalente à celle de la monnaie qu’il a livrée, et qu’en conséquence l’échange ne lui fait subir aucune perte. Mais si aucun d’eux, en particuller, n’a perdu, comment l’ensemble de leur opérations a-t-il pu constituer une perte ? Comment peut-on arriver à former un nombre quelconque en n’additionnant que des zéros ? Le pays perd dans cette opération une partie de son numéraire, mais qu’importe si, d’un autre côté, il gagne, en tous autres produits, une valeur au moins équivalente  ? Encore une fois, les achats n’ont eu lieu que parce que les acheteurs y ont trouvé leur convenance, parce qu’ils y ont vu un avantage,un profit,etcomment veut-on que de l’ensemble de ces profits puisse résulter une perte  ? La source de ces idées est dans cette vieille erreur que les monnaies d’or et d’ar-

gent forment la richesse par excellence et qu’on ne saurait mieux assurer la prospérité d’un pays qu’en y accumulant le plus possible de ces métaux précieux.

S’il peut arriver qu’un pays s’appauvrisse momentanément en numéraire par suite de quelque grande nécessité imprévue, il peut arriver aussi, par la même raison, que tel autre pays attire accidentellement à lui plus. de numéraire que les besoins de sa circulation n’en exigent.

Ce dernier fait est la conséquence naturelle de l’autre. Mais il faut se hâter de répéter que, du moins dans les pays travailleurs et producteurs, ces sortes de perturbations sont. essentiellement passagères ; que l’appauvrissement inusité du numéraire dont un pays a besoin pour ses échanges y provoque presqueaussitôt un courant d’exportation plus fort qu’à l’ordinaire, et qu’en conséquence les espèces métalliques transportées au dehors netardent jamais beaucoup à y revenir. S’il était besoin de preuves à l’appui d’une vérité si simple, on en trouverait de très docisives. dans les faits qui se sont produits après nosdésastres de 1870-1871, alors que la France avait été obligée de faire face au payement d’une rançon de six milliards environ, principal, intérêts, frais d’emprunt et de transport compris. Or, tandis qu’on pouvait croire le stock de nos épargnes épuisé par de telles exigences, les tableaux de notre commerce extérieur accusaient au contraire une augmentation de richesse rendue manifeste par l’excédent des exportations sur les importations. Au premier abord ce fait peut paraître en contradiction avec la doctrine que nous venons d’exposer. Mais, en y réfléchissant bien, on voit qu’il ne fait que le confirmer. Lepays manquait d’or. Donc l’or constituait une excellente marchandise d’importation. Au lieu d’acheter des marchandises dont le chiffre aurait grossi le total des évaluations. douanières à l’importation, nous avons importé de l’or, ce qui n’a pas laissé de trace sur les relevés généraux du commerce extérieur. De 1872 à 1875, la France a exporté pour 15 121 millions de marchandises au commercespécial alors qu’elle en importait pour 14 168 millions. L’excédent des exportations sur les importa tions est donc de 953 millions. En même temps on constatait à l’importation un excédent considérable en faveur des. espèces monnayées et des métaux précieux,. ce qui prouve bien que l’indemnité de guerre, n’avait pas tardé à rentrer en grande partieen France sous forme de numéraire représentant le prix de nos marchandises exportées1. i. Voir à ce sujet le Rapport rédigé par M. Léon Say et présenté à l’Assemblée nationale au nom do la commission


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