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lemagne nouvelle, résolut de lui assurer une vie politique et économique digne d’un grand empire. En conséquence, le parti socialiste formula avec netteté et hardiesse ses revendications, et le prince de Bismarck, à la fois pour devancer près du peuple les socialistes de diverses nuances et pour s’attacher les classes dirigeantes, préluda à cette politique et à cette économique qui ont abouti directement au socialisme d’État, et, après quelques tergiversations, au protectionnisme.

C’est à ce moment, précisément, que la nouvelle école allemande prit son essor.

Nous ne lui ferons pas, comme quelques-uns, l’injure de dire qu’elle reçut le mot d’ordre des puissants du jour, encore moins qu’elle plia ses doctrines à ses intérêts. On ne peut pas croire à la bassesse de toute une école. Mais les revendications des socialistes, d’un côté, les prétentions du chancelier de fer, de l’autre, surgissant en même temps, l’émurent et l’influencèrent d’une façon profonde, en sorte que, sans y songer, au lieu de faire seulement de la science, elle fit aussi du sentiment et de la politique.

Ses dénominations mêmes indiquent bien ses origines et ses tendances. Je ne mentionne que pour mémoire celle de Katheder Socialism, due à une circonstance toute fortuite mais elle s’appelle école éthique, elle s’appelle école interventionniste, et chacune de ces dénominations est un programme. École éthique, elle rechercha la part qu’il faut que la morale prenne dans la vie économique des hommes et des sociétés école interventionniste, elle prétendit déterminer l’influence et la direction qu’il faut que l’État exerce sur la conduite des individus. C’étaient moins des économistes que des directeurs de conscience et des conseillers de gouvernement.

La nouvelle école, faisant de l’économie politique la servante de la politique, s’efforça donc de plier les théories aux désirs et aux prétentions des hommes et à ce qu’elle croyait être des nécessités nouvelles. Tandis que l’ancienne estimait que la nature humaine ne peut être modifiée que par la lente transformation des milieux, ou, dans un même milieu, par le travail plus lent encore de l’éducation, la nouvelle école semblait croire à l’action des lois des hommes sur la conduite des hommes. Tandis que l’ancienne, s’appuyant sur ce qu’elle considérait comme le fonds même de la nature humaine, répondait, à contre-cœur, par des négations à des revendications dont notre temps n’a pas, comme on paraît le croire, le monopole, accordant seulement par bienveillance ce qu’elle refusait au. nom du droit, la nouvelle, au contraire, cherchait à faire sortir de ses théories la notion de l’obligation.

Il y avait là une tentative, non pas seulement chimérique, mais antiscientifique. Quelques-uns des plus distingués d’entre les Allemands s’en sont bien aperçus, et ils ont refusé de s’engager dans cette voie. Ils ont affirmé que la science devait être impartiale et indépendante ; ils ont déclaré qu’ils avaient, quant à eux, l’esprit libre et qu’ils ne seraient ni les amis de l’État ni les défenseurs de l’individu ; qu’ils n’étaient ni des libéraux ni des socialistes d’aucune école ; qu’ils croyaient à l’action, d’ailleurs inégale, et de l’égoïsme et de l’altruisme. Mais, en même temps, ils ont prétendu que l’économie politique n’existait pas en tant que science, qu’elle reste encore à fonder, qu’il importait d’y travailler sans esprit de système, sans préconception, et que tout d’abord