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BEAUX-ARTS 176 BEAUX-ARTS

le travail humain, par conséquent sur la production etlarichesse, que de déterminer la valeur de cette action. Il faut croire d’abord que, pour compléter la grande synthèse du vrai, du beau et du bien, il convient d’y ajouter l’utile, qui représente les nécessités matérielles de la vie. L’utile lui-même se rapporte au beau, puisqu’il contient en lui des éléments d’ordre, d’harmonie, d’agrément, et que c’est ainsi qu’on a pu dire que la beauté n’était peutêtre qu’une harmonie entre la forme etsadestination. Mais cette définition ne pourrait-elle pas également s’appliquer à l’utilité ? Au fond, l’Economie politique est la détermination de ce qui est vraiment utile ; la masse des utilités acquises devient la richesse. Soit donc que l’on se place au point de vue supérieur où tout participe de tout, soit que l’on ne considère que l’appropriation des choses aux besoins de l’homme, il semble que la question de la valeur économique des beaux-arts est en soi assez vague et de discussion vaine. En effet, cette valeur économique est démontrée par l’évidence d’abord, par ce fait que les beaux-arts plastiques, architecture, sculpture etpeinture, créent des œuvres matérielles et durables qui font partie du capital universel que la musique à un moindre degré est productrice, quand ce ne serait que par les industries nombreuses qu’elle suscite. La danse seule, quoique représentant un certain travail, ne donne que des résultats éphémères. La valeur pour l’utilité des beauxarts apparaît en cet autre fait, que le beau augmente le prix des choses ; qu’autrement parler, le beau ajoute du prix au travail. L’idéal économique de l’industrie serait de faire beau, bien et bon marché, puisque le bon marché est l’expression de l’utilité la plus largement satisfaite. Mais le bon marché est relatif ; le beau imprimé à l’objet ou bien en change justement le prix, ou mis en concurrence avec ce qui n’est pas aussi beau, facilite la vente à prix égal. Enfin, il est à observer, que tout objet sorti de la main de l’homme porte une empreinte d’art, que l’art s’y incorpore à un degré quelconque, depuis l’objet rudimentaire n’en portant que la trace la plus faible et la plus grossière, jusqu’à celui ou l’âme d’un grand artiste fait parler à la matière un langage surhumain. Tout notre travail porte en lui une parcelle, souvent impondérable, de notre sentiment. On peut donc affirmer que l’art et le travail sont inséparables, que si le travail est la source de la richesse, l’art ne cesse de l’alimenter. Ainsi, la véritable question économique en matière de beaux-arts, est moins d’en reconnaître la valeur et l’utilité que de rechercher comment on peut en tirer parti. A cet égard, il faut placer hors de son examen les hautes manifestations des arts qui échappent complètement à la volonté générale. C’est-à-dire qu’il est impossible à l’instruction publique la mieux ordonnée, à la civilisation la plus délicate, de procréer des artistes supérieurs, pas plus que de grands poètes. C’est en cela qu’on peut répéter que l’esprit souffle où il veut. On ne saurait soutenir au reste qu’un Phidias ou un Michel-Ange puissent avoir une influence appréciable sur le développement de la richesse ; d’autant plus que l’apparition d’un grand génie dans l’art est en même temps le signe d’une décadence inévitable. C’est le patrimoine moral de l’humanité, le plus précieux de tous, que ces merveilleux esprits augmentent. Il faut nous résigner à abaisser notre point de vue dans ce sujet ; la partie de l’art qui influe sur la production et sur la richesse, est surtout celle de l’art adapté aux objets usuels. Les monuments, les tableaux, les statues, les médailles, les gravures font partie du capital ; mais le plus grand nombre de ces œuvres ont perdu leur puissance reproductive ou de circulation. Les édifices publics et les musées constituent des biens de main morte, qui iront sans cesse en s’accroissant. Une partie seulement des capitaux de provenance artistique est mise en circulation et constitue un commerce important. Mais l’art beaucoup plus modeste, l’art qui pénètre partout, c’est-à-dire celui qui s’ajoute aux objets de consommation, est celui dont il faut surtout tenir compte en économie politique, parce que c’est celui qui par sa puissance universelle de pénétration augmente le plus la valeur de la production et aide à son écoulement.

En elle-même, et sans que cela soit en contradiction avec ce que nous venons de dire

sur le peu d’influence pratique des grands génies artistiques, la distinction, d’usage. courant, établie entre l’art pur et l’art industriel, est fausse au point de vue de la

philosophie de l’art ; elle est moins inexacte pour l’intelligence et la pratique des choses. Il fallait bien exprimer que l’art industriel est comme un art d’appoint, puisque les exigences de l’emploi donneront toujours une certaine prépondérance à la matière sur le pur sentiment qui guide l’artiste. C’est celui qu’il importe aux économistes d’observer, et d’observer à notre époque.

Il est à remarquer que l’art se mêlant à la production industrielle ne suit pas toujours les inspirations de l’artpur. Cependant, d’une manière générale, on peut dire que jusqu’à notre temps l’artiste se confondant très souvent avec l’artisan, l’union était étroite entre les divers arts et on pouvait dire avec plus