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e œuvre d’art, petite ou grande, ne vaut le Parthénon, les cathédrales gothiques, toute œuvre d’art, petite ou grande, ne vaut que par le sentiment personnel qui l’a animée. Il est donc probable que, vu l’accroissement de nos connaissances qui obstrue notre imagination de formes anciennes et développe

notre sens critique au détriment de notre ,sens inventif ; vu la mobilité de nos goûts ’servie par la rapidité et la souplesse de nos industries, un nouveau style ne sera pas créé. Pour avoir un nouveau style, il faudrait se donner le loisir de penser et de sentir fortement, afin d’exprimer de la même manière. L’art industriel devra donc vivre de ces recherches incessantes dont il vient d’être parlé, et vivre aussi par le goût. Le goût, qui est la menue monnaie de l’art, est très précieux, parce qu’il peut être conservé. Il semble que le goût soit vraiment une fleur de France, une fleur des climats tempérés de l’esprit, parce qu’il procède du sens commun et qu’il représente une certaine mesure dans le rendu des choses. Il correspond à la hauteur modérée de notre esprit artistique. Ne nous étant jamais élevés jusqu’au génie, si ce n’est dans l’architecture gothique, nous n’avons jamais connu la décadence sans, arrêt et sans remède de la Grèce et de l’Italie. Il est remarquable, qu’à part l’éclipse que nous signalions tout à l’heure, la France, par son goût bien équilibré, ait su se maintenir à la tête des nations dans toute la production des œuvres où l’art prend sa place. Le goût est une grande richesse, qui rapporte beaucoup et qui coûte peu, richesse ou monopole qui n’est point tout à fait naturel, car il a brillé et s’est éteint chez maintes nations de l’Orient et de l’Occident, tandis que nous le voyons au contraire se fonder chez des peuples tels que l’Angleterre et les États-Unis, que nos préjugés nous montraient comme devant y être le plus réfractaires. Un enseignement et une éducation bien dirigés peuvent beaucoup pour le fomenter ou le maintenir. Ils n’y suffisent pas cependant, car nous voyons que toutes les ressources de la pédagogie la plus intense et la mieux ordonnée, appuyée sur des Musées intelligemment disposés, n’ont pu réussir à donner du goût à l’Allemagne contemporaine. Il nous faut maintenant, ainsi que dans toute question économique, apprécier l’intervention de l’État. Comme en beaucoup d’autres choses, il convient de montrer un scepticisme marqué touchant l’efficacité de la protection et de la direction de l’art par l’État. Ce qu’on appelle, souvent par antiphrase, l’encouragement officiel des arts s’est rarement pratiqué au profit des véritables artistes il est, dans tous les cas, sans influence sur leurs œuvres. Les plus beaux monuments, le Parthénon, les cathédrales gothiques, ont été érigés par des associations. L’art de cour et l’art officiel méritent leur pauvre réputation. Léon X recevait les lumières d’art de son temps et ne lui en donnait pas. Louis XIV admirait Lebrun et méprisait Rembrandt. En notre organisation administrative, il serait cependant difficile de supprimer toute immixtion de l’État dans le développement des arts. L’État paraît avoir en cela deux fonctions enseigner, et protéger ce que l’individu ne peut pas protéger.

L’enseignement des arts n’est qu’une branche de l’enseignement d’État. La liberté de l’enseignement est une liberté nécessaire, mais si l’on concède à bon droit que l’enseignement public doit subsister comme un

point stable dans le monde mouvant des associations et des individus qui instruisent,. l’enseignement public des arts est aussi justifié que les autres. En art, l’école est un mal nécessaire ; elle sera toujours au-dessous, de l’atelier, où l’artiste et l’artisan d’autrefois étudiaient et pratiquaient sous l’œil du vrai maître, du maître complet. C’est pourquoi l’école de notre temps ne peut être que, limitée dans son action, et est destinée surtout à apprendre la science du dessin par tous ses procédés, se proposant de préparer d’une manière générale à toutes les applications, aux professions et non d’être l’apprentissage des professions. En France, la belle école nationale des arts décoratifs est un modèle du genre. On ne devient pas artiste, mais on devient dessinateur ; on peut apprendre à dessiner comme à écrire. L’enseignement simplifié du dessin convient à tous et peut donner une grande force aux travailleurs de l’industrie. Il appartient à l’État de faire que le dessin ne soit plus considéré dans l’enseignement public comme un art d’agrément,

mais bien comme l’une des connaissantes fondamentales chez un peuple industriel. L’Économie politique peut concéder à l’État une autre fonction dans la production artistique à savoir d’encourager et de soutenir certaines œuvres exceptionnelles ; en d’autres termes, de faire pour l’art ce que l’individu ne peut pas faire. Tel est le rôle bienfaisant de l’État lorsqu’il conserve 1 les monuments historiques, lorsqu’il accroit les Musées, lorsqu’il soutient avec intelligence les grands arts, peinture murale et grande sculpture, que dans l’état de nos mœurs, de nos demeures mesquines, de nos domiciles changeants, les par- Mais seulement lorsqu’il conserve, en entretenant et réparant à temps les monuments menacés, non lorsqu’il rebâtit de tontes pièces ceux qu’il a trop longtemps négligés, achevant pour cela de détruire des fragments de la plus’haute valeur.