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publique, identifiés avec les économistes. L’économie politique porte — ce qui est juste — la responsabilité des victoires intermittentes du libre-échange et ce qui lui est scientifiquement un titre d’honneur lui a été trop souvent un sujet de discrédit parmi les hommes d’affaires et les hommes de gouvernement.

Tandis qu’en Angleterre elle poussait ses adeptes à la considération et au pouvoir, en France elle les exposait à l’impuissance et presque au ridicule. Il en est résulté que le nombre de ceux qui auraient pu être tentés d’en faire une carrière a toujours été en diminuant. Les autres sciences, sciences d’ailleurs officiellement reconnues, et qui conduisaient, soit par la faveur de l’opinion à des situations enviées, soit par une hiérarchie établie à de hautes fonctions, attiraient à elles des éléments d’année en année plus abondants et plus choisis ; l’économie politique, elle, autrefois si honorée parmi nous, est, depuis ces luttes soulevées par le libre-échange, un peu délaissée.

Ce n’est pas là d’ailleurs la seule conséquence fâcheuse que le libre-échange ait entraînée pour l’économie politique.

Nous disions que l’opinion publique a identifié les libre-échangistes avec les économistes ; les économistes, eux, ont identifié le libre-échange avec l’économie politique. Ce n’est pas une exagération que de dire que le libre-échange a absorbé plus de la moitié, les deux tiers des forces vives de nos économistes. Toutes les autres questions ont passé après celle-là. Prenez les ouvrages de nos auteurs les plus célèbres depuis cinquante années, et vous verrez quelle place imposante la défense du libre-échange tient dans leur production. Nulle part cette passionnante question n’a été plus étudiée et par des hommes de plus de talent. Le libre-échange est aujourd’hui, de toutes les assertions de l’économie politique, la mieux fondée ; la forteresse où il se défend est scientifiquement imprenable. Si ceux qui l’ont édifiée avaient, comme autrefois les ouvriers de nos cathédrales, mis leur marque sur les pierres qu’ils ont fournies, on verrait la part glorieuse qu’y ont prise les maîtres français. Seulement — et c’est là la contrepartie d’une œuvre si belle — le libre-échange les a fait se désintéresser du reste de l’économie politique. Plus d’un problème qui passionne les étrangers et aurait dû solliciter leur attention, a été volontairement négligé et, comme la science pure perdait chez nous de son activité et de son ampleur, notre école, sauf quelques éclatantes exceptions, a perdu au dehors de son autorité.

C. Il faut bien le dire, d’ailleurs — et ceci nous amène au dernier ordre de considérations que nous avons annoncées — notre tempérament et notre nature d’esprit ne nous disposaient pas au genre d’études qui semble être celui de l’heure présente. Nous sommes, les uns, les hommes de l’action, les autres, les hommes des conceptions abstraites et de la généralisation ; on ne voit pas que nous soyons les hommes du détail et de la minutie poussés, comme on fait parfois à l’étranger, jusqu’à la naïveté.

Il n’y a pas lieu d’insister sur ce goût de généralisation que tout le monde nous reconnaît et qui se trahit, dans notre science, par le nombre des traités, manuels, systèmes, où la plupart d’entre nous viennent de bonne heure, et parfois prématurément, condenser tout un corps de doctrines. Quant à l’action, elle est partout, et partout elle précède la science.