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plante sur une même terre n’est pas, jusqu’à présent, considérée comme absolument pratique. La coopération simple s’applique, au contraire, très bien aux travaux agricoles, mais elle est loin d’augmenter la puissance productive dans les mêmes proportions que la coopération complexe.

Des difficultés de cette nature se rencontrent aussi, quoique beaucoup plus rarement, en industrie. Il est assez souvent impossible de diviser le travail de montage de certains instruments dont les pièces sont tellement dépendantes les unes des autres qu’elles ne peuvent être ajustées que par une même main.

La coopération complexe se trouve donc être, en ces différents cas, inapplicable. Les limites dans lesquelles elle se trouve enfermée ne peuvent être reculées en agriculture, en ce qui concerne les saisons et certains agents naturels contre lesquels l’homme est impuissant. Il n’en est pas de même dans l’industrie proprement dite, où ces limites peuvent être étendues par des découvertes dans l’art industriel.

L’autre sorte de limite, celle qui vient des débouchés, est beaucoup plus variable, puisqu’elle dépend de la loi de l’offre et de la demande. Un relieur occupe quatre ouvriers, par exemple ; la demande de livres reliés est telle, qu’il ne peut augmenter le nombre de ses ouvriers. L’un d’eux, celui qui dirige la machine à couper, ne sera pas occupé toute la journée à rogner les volumes, car les autres ne pourraient lui en fournir assez ; il préparera donc la colle, mettra en presse etc. etc. ; supposons que la demande de livres reliés s’élève, l’entrepreneur de reliure augmentera le nombre de ses ouvriers. S’ils sont assez nombreux pour alimenter la machine à couper, l’ouvrier chargé de cette machine occupera ce seul emploi, un autre préparera la colle, un troisième mettra en presse, etc.

La coopération complexe ne subit pas, sans avoir une action propre, la loi de l’offre et de la demande. Comme elle tend à diminuer le coût de production, elle tend à augmenter les débouchés. Ces combinaisons du travail, ces arrangements d’atelier dépendent étroitement aussi du milieu dans lequel ils se produisent, du temps, de l’état industriel des sociétés. Il arrive parfois, dans certaines conditions, que la coopération complexe est laissée de côté, et, qu’au lieu de partager les opérations, on les réunit dans quelques industries, les ouvriers sont, en même temps, agriculteurs (fabrication des pièces de montre). Le partage des occupations, en lui-même, n’est pas d’ailleurs un principe, mais l’application d’un système élevé de coopération. Dans l’atelier, la division du travail est faite et dirigée par une volonté unique, celle de l’entrepreneur ; elle fait l’objet d’un art d’arrangement qui porte souvent le nom d’organisation.


4. Historique.


Le partage des occupations a existé dès l’origine des sociétés. Il a pris naissance, selon toute probabilité, dans la famille primitive. C’est pourquoi il n’est pas étonnant que la plupart des écrivains de l’antiquité l’aient signalé, dans leurs écrits, comme offrant des avantages non seulement pour la société en général, mais aussi pour un atelier Xénophon s’exprime ainsi dans la Cyropédie : « …Entre tailleurs, celui-ci coupe l’étoffe, celui-là ne fait qu’en assembler les parties. Nécessairement, un homme dont l’ouvrage est borné à une seule espèce d’ouvrage y excellera. » Platon, Aristote, Pline,etc., ont consacré quelques pages à ce sujet. La coopération simple — employée probablement, pour l’érection des menhirs, dolmens, etc. et certainement pour l’édification des pyramides d’Égypte — était cependant plus utilisée, à cette époque, dans les grands travaux que la coopération complexe, et cela s’explique aisément par les machines rudimentaires qui étaient alors en usage. Dans nos temps modernes, les inventions dans l’art industriel, les moyens plus faciles de communication, l’extension des débouchés, ont produit l’extrême division du travail. L’attention des penseurs a été plus particulièrement et plus souvent attirée sur elle. Beccaria, Fergusson, Ad. Smith, J.-B.Say, l’étudient et apportent chacun un éclaircissement nouveau. Turgot, qu’on peut considérer comme le Pascal de l’économie politique, (car il a deviné, et formulé dans ses ouvrages presque toutes les vérités scientifiques que nous connaissons), s’en est également occupé. Puis Wakefield et J. Stuart Mill, rattachent définitivement cette question, toute spéciale d’abord, à la théorie de l’organisation de la société.

On a essayé de rechercher à qui revient l’honneur d’avoir nettement démontré les bienfaits de la division du travail. C’est le cas de faire remarquer que la coopération complexe s’applique en matière scientifique comme en matière industrielle. Les savants qui ont écrit et disserté sur ce sujet, liés, dans le temps, par une solidarité invisible, ont tous apporté à la solution du problème leur contingent de travail. Du reste, ces questions de priorité peuvent intéresser les personnes qu’elles concernent elles ne sont d’aucune utilité pour la science.

André Liesse.