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61 APPROPRIATION

Mais les inspecteurs, bien que non-propriétaires en droit, disposeraient des capitaux sans être responsables de leur diminution ou de leur perte. Le propriétaire et le capitaliste libres peuvent bien, en droit et en fait, disposer des capitaux, mais ils sont immédiatement soumis à une responsabilité qu’ils ne peuvent éviter leur revenu diminue ou périt avec le capital qui leur est confié et, sans enquête, sans discussion, sans bruit, ils sont à l’instant même destitués de leurs fonctions. Au contraire, sous un régime d’autorité, l’inspecteur infidèle ou incapable pourrait rester bien longtemps en fonctions. Il est donc certain que les inspecteurs seraient moins vigilants que les propriétaires et capitalistes leur prélèvement sur les produits de l’industrie ne serait probablement pas moins considérable.

5. Énergie du travail.

Il serait possible que sous un régime d’autorité on gaspillât moins de richesses que sous un régime de liberté, mais il est certain que-l’énergie du travail d’épargne serait bien moindre. On n’épargne pas pour la République avec la même énergie que pour soimême.

Le travail musculaire, lui aussi, aurait moins d’énergie. On peut s’en convaincre sans peine en comparant le travail de l’esclave et celui de l’ouvrier libre. L’esclave refuse son travail le plus qu’il peut, parce qu’il n’a pas d’intérêt à travailler. L’ouvrier libre travaille davantage et même le plus qu’il peut, lorsque sarémunération croît avec le produit de son travail.

Avec l’autorité, les salaires égaux ou rations égales découragent ceux qui seraient capables de gagner plus en travaillant davantage. Ainsi le travail musculaire, comme le travail d’épargne, aurait moins d’énergie sous l’autorité qu’avec la liberté. Par conséquent, de ce chef, la production serait moindre.

6. Distribution des produits.

Il faut que les produits soient distribués aux consommateurs.

L’autorité pourvoira à ce service par des fonctionnaires spéciaux chargés des transports par terre et par eau, peut-être aussi par des inspecteurs et garde-magasins. Nous ne savons quel sera le nombre et l’importance des fonctionnaires chargés d’acheter les marchandises qu’il faudra tirer du dehors et de les transporter, ainsi que les produits indigènes, jusqu’aux lieux de consommation. Nous ignorons aussi si la distribution sera bien et régulièrement faite et, si nous en

jugeons par ce qui se passe pour les armées, nous conservons quelques doutes ou inquiétudes.

Avec la liberté, au contraire, tout est

simple. Des fonctionnaires appelés « commerçants » vont chercher au dehors les marchandises dont on a besoin ; d’autres fonctionnaires lesvoiturent, ainsi que les produits du pays, par terre et par eau jusqu’au commerçant garde-magasin ou détaillant, qui les tient à la disposition du consommateur, le tout sans perte de temps, sans lacune ni interruption d’aucune sorte, pour des rassemblements de plusieurs millions d’êtres humains, comme pour le dernier paysan isolé dans la campagne.

7. Art industriel.

Si nous considérons l’art industriel, la

différence des deux régimes est plus grande. L’autorité peut le constituer avec un art donné et se conserver mais tout progrès lui répugne, par ce motif très simple que tout progrès de l’industrie exige des arrangements nouveaux, et, par conséquent, impose aux gouvernants et aux gouvernés de nouveaux soucis. Imaginez une invention qui exige plus de capitaux et qui déplace des ouvriers après combien de tempset àquelles conditions celui qui voudrait l’introduire en obtiendrait-il l’autorisation  ? Pourquoi d’ailleurs quelqu’un désirerait-il innover  ? Ni l’ouvrier, ni l’inspecteur, n’y auraient intérêt. Il faudrait attendre l’initiative du gouvernement et prévoir des résistances.

Aveclaliberté, celui qui conçoit une inno-

vation utile a un grand intérêt à la réaliser et il peut a l’instant se mettre à l’œuvre, appeler dans une entreprise des capitaux et des bras. Il rencontre encore des résistances, mais il n’a pas à redouter celles qui naissent de l’ignorance et qui sont si naturelles sous un régime d’autorité. Il a devant lui l’espérance il agit, invente, innove à ses risques et périls. Il est responsable de l’innovation, tandis que l’autorité n’est responsable de rien. Elle pourrait innover à tort et préfère l’inaction.

Il ne faut pas oublier que, quel que soit

le régime d’appropriation, c’est l’art industriel qui détermine à chaque instant le nombre d’hommes et la somme de capitaux qui sont nécessaires, qu’il faut appeler s’ils manquent, et congédier s’ils sont en excès. Ce sont les progrès de l’art industriel qui, depuis cent ans, ont causé l’augmentation de la somme des capitaux et du nombre des hommes. La liberté stimule l’art industriel, tandis que l’autorité le comprime. Cette considération est capitale.


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