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naturels, nécessaires, indépendamment du régime d’appropriation qui existe ; il y a là des lois naturelles qui, comme toutes les lois naturelles, sont des « lois d’airain », qu’il serait puéril de méconnaître.

11. Des régimes concrets d’appropriation

Nous venons de comparer deux régimes d’appropriation idéaux, afin de faire mieux comprendre en les mettant en saillie les caractères propres à chacun d’eux. L’histoire ne nous montre ni l’un ni l’autre de ces deux régimes dans sa pureté. Tous les régimes concrets qu’elle mentionne sont des combinaisons aussi nombreuses que variées de ces deux régimes. Lorsque nous considérons l’ensemble de nos temps historiques, nous constatons que la part de l’autorité a diminué, tandis que celle de la liberté a augmenté, non par un développement continu et sans intermittence, mais dans une suite de périodes d’action et de réaction. Ainsi la Révolution de 1789 a donné un déploiement considérable à la liberté, contre laquelle nous n’avons cessé de réagir depuis le commencement du siècle et surtout dans ces dernières années.

Iln’est donc pas exact de dire que le régime d’appropriation sous lequel nous vivons soit l’un des régimes idéaux que nous venons d’étudier, ni que nous trouvions le régime en vigueur parfait. Ce dernier nous semble, au contraire, fort imparfait et nous désirerions qu’il se rapproçhât le plus possible du régime idéal de la liberté.

En effet, s’il est, comme nous le croyons, incontestable que le régime idéal de la liberté est supérieur, parce qu’il produit plus de richesses, plus d’aliments, des hommes plus nombreux et d’une qualité supérieure, un régime concret est d’autant meilleur que la liberté y occupe une place plus grande et l’autorité une place moindre, d’autant meilleur que les attributions dés particuliers y sont plus étendues et celles du gouvernement plus restreintes.

Quelques perfectionnements que l’onintroduise dans un régime concret d’appropriation, on ne pourra jamais arriver à l’idéal. Il y aura toujours des frottements et des déviations naissant de l’ignorance inévitable ou voulue, des différences de langage, de croyance et de nationalité qui existent entre les hommes ; les accaparements seront redoutables et pourront vicier le régime. En un mot, il sera toujours bien difficile d’arriver à la perfection ; toutefois on peut sans trop de peine marcher vers elle et s’en rapprocher. Mais, quelques efforts que l’on fasse, on ne saurait jamais contenter ceux qui prétendent

éluder les effets des lois de la nature par des combinaisons d’autorité et, par exemple, effacer les conséquences des inégalités naturelles qui existent entre les hommes. Les tentatives qu’on pourrait faire en ce sens seraient vaines et funestes ; vaines, parce qu’en attribuant à un homme une autorité surla vie de l’autre, on établit la plus grande et la plus injuste des inégalités ; funeste, parce qu’en attribuant au faible ce que le fort a gagné, on décourage le second sans encourager le premier.

D’autres voudraient un régime d’appropriation dans lequel la rémunération fût proportionnelle à l’effort et accusentla liberté de ne pas remplir cette condition. Mais si la liberté ne la remplit pas, l’autorité la remplira-t-elle mieux  ? Tout homme est mauvais juge de l’effort d’un autre, parce que l’effort est le résultat de la, force la plus intime et la plus cachée, la volonté. Aucun régime d’appropriation ne saurait permettre de la constater et de la mesurer.

Ceux qui formulent de telles exigences contre les lois d’appropriation ne prennent pas garde que ces lois ne sont pas destinées à relever et à récompenser le mérite moral. Elles ont une autre fin plus simple c’est de donner la plus grande richesse possible, au prix du moindre travail possible, au plus grand nombre d’hommes possible. La liberté répond aux conditions du problème. Dans l’échange, aucun des deux individus qui y interviennent ne s’occupe du mérite moral de celui avec lequel il traite il tâche d’obtenir le plus qu’il peut en donnant le moins qu’il peut, agissant avec son semblable comme il agit, lorsqu’il travaille, avec le monde matériel. Cependant c’est encore avec l’échange libre qu’on se rapproche le plus de la condition demandée de la proportion entre l’effort et la rémunération. La part de la chance subsiste toujours et elle est considérable, mais qui pourrait éliminer la part de la chance dans l’industrie  ? L’homme qui saurait tout connaître et tout prévoir, on ne l’a pas encore rencontré.

12. Conclusion.

Lorsque l’on a comparé avec attention les deux régimes d’appropriation, on demeure frappé de la complexité de l’action de l’autorité et de la simplicité de celle de la liberté. Sous l’empire de la première, les fonctions maîtresses de l’industrie sont partagées. Les uns dirigent ; les autres commandent, en détail, l’art à appliquer, le travail musculaire ou l’épargne à employer, le partage des produits à faire ; partout, des ordres délibérés, donnés, transmis, dont l’exécution est sur-


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