Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 1.djvu/92

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

70 ASSISTANCE


États et les gouvernements, à leur tour, ont prélevé une partie de leurs revenus ou des impôts versés dans leurs caisses pour soulager les pauvres. La morale chrétienne a fait de la charité une de ses vertus théologales. Mais il appartenait à l’époque contemporaine de discuter le principe de l’assistance et d’en mettre les résultats en doute.

On connaît les attaques dirigées par certains économistes contre la charité ; elle est inutile, disent les uns, parce que les maux qu’elle se croit appelée à soulager peuvent être conjurés par la prévoyance ; elle est inefficace, affirment les autres, parce qu’elle ne peut guérir.

Les premiers ne sont pas convaincus des avantages et de l’opportunité de la charité, et la raison en est que, selon eux, la prévoyance peut utilement prévenir la misère. Ce n’est certes pas nous qui nous inscrirons en faux contre les bienfaits de la prévoyance ; nous sommes même de ceux qui, malgré notre aversion pour le socialisme d’État, pensent que le législateur, sans aller jusqu’à rendre l’épargne ou l’assurance obligatoires, comme en Allemagne, peut et doit même contribuer àen propager le sentiment parmi les classes populaires, soit en assurant une très large publicité aux institutions de prévoyance, soit en environnant leur fonctionnement des plus grandes garanties, soit même en créant, à titre d’exemple pour les œuvres d’initiative privée, des services publics. La concession que nous faisons ici à une doctrine qui n’est pas la nôtre et dont nous repoussons presque toutes les applications, montre bien que nous sommes pénétré du caractère particulièrement bienfaisant de la prévoyance. L’assistance, quelque ardeur qu’elle déploie, quelque sagaces qu’en soient les procédés, quelque considérables qu’en soient les ressources, ne peut guère songer qu’à apporter des soulagements temporaires à la condition des malheureux ; elle est hors d’état de la modifier profondément.

Lorsque le champ de la prévoyance s’élargit, celui de la bienfaisance se limite, l’observation en a été faite à maintes reprises on a remarqué notamment que dans les départements ou dans les villes où la mutualité, cette forme la plus morale de la prévoyance, s’est le plus développée, le nombre de pauvres secourus pas le bureau de bienfaisance a décru dans une proportion considérable.

Mais faut-il pour cela condamner la charité et affirmer qu’elle n’est pas nécessaire  ? Selon l’opinion de Ricardo, aucun plan pour secourir la pauvreté ne mérite attention, s’il ne tend à mettre les pauvres en état de se passer de secours ; après lui, on a renchéri et on a voulu proscrire l’assistance. « Soyez économes, assurez-vous contre les risques et les fatalités de la vie », a-t-on dit aux classes pauvres. Mais n’est-ce pas le propre de toute société, qui progresse en civilisation et en richesse, de soulager les infortunes de ses déshérités  ? Une armée enmarche laisse-t-elle ses blessés en arrière  ? N’a-t-elle pas, au contraire, le devoir de les soustraire à l’ennemi  ?

Nous maintiendrions la nécessité de l’assistance, alors même qu’il serait démontré que l’espoir ou la certitude d’être secourus contribuerait à oblitérer chez les ouvriers le sentiment de la prévoyance. Mais est-il vrai qu’il en soit ainsi  ? Nous ne méconnaissons pas que, dans les pays où la loi a inscrit le droit à l’assistance, la certitude du secours puisse supprimer chez le pauvre la notion de la responsabilité personnelle ; nous savons aussi que certains individus auxquels on conseille l’épargne répondent parfois : « A quoi bon épargner  ? Ne sommes-nous pas sûrs de finir nos jours à l’hospice  ? ». Mais est-ce là le motif qui les dissuade de l’économie  ? N’y faut-il pas voir plutôt le besoin de donner une excuse pour ne pas suivre un conseil auquel l’insouciance ou la dissipation ne leur permettent pas d’obéir  ? D’ailleurs, la certitude d’être secourus estelle si complète  ? Dans les villes et surtout à Paris, les admissions dans les hospices, toujours encombrés et toujours trop exigus, malgré leurs agrandissements et malgré leur multiplication, n’ont pas lieu facilement, elles se font attendre de longues années ; on fait, pour ainsi dire, antichambre devant le refuge de la misère. Cette perspective est loin de la certitude. Serait-ce elle qui pourrait être de nature à éloigner un ouvrier de la pratique de l’épargne et de celle de la prévoyance ? Et aurait-elle même cet effet de paralyser ce sentiment chez quelques-uns, qu’il faudrait encore soulager les infortunes imprévoyantes ou imprévues.

D’ailleurs, il suffit de faire l’énumération des causes de la misère, pour montrer qu’il y a témérité à affirmer que la prévoyance soit une panacée souveraine. Elle peut sans nul doute conjurer certains risques individuels, comme la maladie, l’indigence dans la vieillesse, etc. ; mais encore ne peut-elle parfois que les atténuer. Lorsque la maladie frappe une famille entière, lorsque, en même temps, elle arrête le travail du chef et accroit ses charges, l’épargne est bien vite épuisée ; les secours de la société mutuelle sont bien faibles ; la convalescence est longue, le chômage plus long encore. Mais que dire de ces


ASSISTANCE