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L’existence des fruitières en Franche-Comté, dans les régions montagneuses, ne paraît pas remonter au delà de deux cent cinquante ans, vers 1630 ou 1640 au plus tôt. L’institution fut importée de la Suisse où telle date du xm e siècle, témoin le nom de gruyère donné au fromage que fabriquent ces associations — bien qu’à l’étranger ce même produit soit presque partout connu sous le nom plus général d’Emmenthal, qui est celui de toute une vallée suisse, et non d’un village seulement.

Quoi qu’il en soit de cette origine, l’institution des fruitières s’est étendue, depuis quelque vingt ou trente ans, sur beaucoup de régions du territoire français : dans l’est, en Savoie, après son annexion à la France et dans les Pyrénées ; il est à regretter que l’Auvergne soit si lente à se l’assimiler. Il n’y a pas moins de trente-deux départements intéressés à la fabrication du fromage façon gruyère.

Aucune loi ne s’est encore occupée de ces associations dans notre pays. En Suisse, au contraire, la plupart des cantons fromagers ont une législation spéciale qui leur est applicable. Dans notre pays, les usages locaux conciliés avec l’équité sont le seul régime auquel elles soient soumises. En 1863, une commission, instituée à la préfecture du Doubs, fut chargée d’étudier une réglementation des fruitières ; elle prépara un texte assez large en deux articles seulement qui, dans la pensée des auteurs, devait prendre place dans le Gode rural. Cette tentative resta lettre morte .

Les fruitières sont avant tout des associations civiles soumises aux règles générales du Gode civil. Leur existence répond à une véritable nécessité : il ne peut en effet être fabriqué de bon fromage que si les cultivateurs peuvent réunir promptement et mettre en commun une quantité de lait relativement considérable. On emploie souvent pour un seul produit 400 à 500 litres de lait, car on compte habituellement qu’il faut 10 ou 12 litres par kilogr. de fromage obtenu. De là, le grand nombre des associations ; sociétés de fait, tacites au début, où chacun des associés surveillait plus ou moins la chose commune, et quelquefois participait à la fabrication ou aux travaux accessoires. Plus tard vinrent, sous le nom de « compromis », des actes d’association qui laissaient énormément à désirer ; puis des statuts au bas desquels chaque associé apposait sa signature k mesure qu’il entrait dans l’association. Les illettrés apposaient une croix, et d’autres ne faisaient adhésion qu’en envoyant le lait de leurs vaches au chalet commun.

__. LAITERIE ET FRUITIERES 

« C’est du reste ainsi que la plupart des associations fruitières existent encore aujourd’hui. Les encouragements pressants que l’autorité parfois, et les syndicats agricoles ont toujours adressés aux sociétés n’ont pas réussi partout à faire régulariser les chartes d’associations ». (H. Tripard.) En général, la fruitière comprend tous les cultivateurs qui habitent la localité et qui possèdent des vaches laitières. Néanmoins, dans certaines communes importantes, il existe plusieurs fruitières qui parfois, en hiver, confondent les apports de lait, afin d’obtenir une fabrication plus avantageuse. Elle est administrée, surveillée, et, au besoin représentée dans tous les actes de la vie civile par un conseil d’administration qui se compose de trois, cinq ou sept gérants ou syndics choisis parmi les sociétaires. Ce conseil choisit lui-même dans son sein un président et un trésorier.

Les gérants désignent les heures auxquelles, matin et soir, tous les associés doivent apporter à la fruitière tout le lait fourni par leurs vaches. Ils doivent rendre chaque année compte de leur gestion à l’assemblée générale.

Les règlements particuliers édictent fréquemment des règles dissemblables en ce qui concerne les détails intérieurs du fonctionnement de la fruitière, et cela s’explique, les usages locaux y prenant une très grande place.

On fabriquait autrefois chez chaque sociétaire à tour de rôle, mais cet usage ne se pratique plus aujourd’hui que dans quelques hameaux isolés. Les fruitières ont généralement un chalet. Mais ce chalet n’est que par exception la propriété de l’association ; presque partout, c’est un local loué ou bien encore c’est une propriété communale. Lorsque la fruitière est propriétaire de son chalet, les nouveaux associés entrants doivent payer soit une somme qui varie suivant l’importance de leur exploitation agricole, soit une redevance annuelle calculée sur l’apport en lait qu’ils font au chalet. Les meubles et ustensiles servant à l’exploitation sont immeubles par destination et participent de l’indivision. Aucun associé ne pourrait évidemment provoquer lalicitation sans le consentement de tous les co-propriétaires. De plus, il faut admettre que l’association a, en fait et en droit, une durée illimitée. Dans la plupart des fruitières on fabrique encore pour le compte du sociétaire qui arrive le premier au tableau des inscriptions du lait fourni, celui dont l’actif en lait est le plus considérable. La vente des produits donne droit pour chaque associé à une partie du