Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/123

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loisirs forcés, et le décida à aller chercher, loin de Paris, dans sa campagne de Peyrusse, au fond de la Creuse, l’oubli des orages dont la violence avait si profondément modifié sa vie. Des relations amicales avec Wolowski et Léon Faucher avaient déjà attiré son attention sur les questions économiques ; il les étudia avec plus de soin dans sa retraite, et chercha le lien qui existe entre les problèmes généraux de l’économie politique et ceux de la production agricole. Une occasion précieuse s’offrit à lui de répandre ses idées, et de leur donner l’autorité de la parole du maître qui professe. L’Institut agronomique venait d’être fondé à Versailles, et la chaire d’économie rurale était déclarée vacante en 1850. Léonce de Lavergne se présenta et fut nommé professeur, après être sorti vainqueur des épreuves du concours. La chaire qu’il venait de conquérir ne tarda pas à être supprimée, comme l’Institut agronomique lui-même ; le cours d’économie rurale n’avait été professé que durant les années 1851 et 4852.

Ces leçons, très goûtées du public spécial auquel elles étaient destinées, n’ont pas malheureusement été réunies en un volume par le professeur. Nous ne possédons que la première, qui a été publiée dans le Journal des Économistes de 1854, sous ce titre : « Qu’est-ce que l’économie rurale ? » Avant tout, écrivait L. de Lavergne, «je dois définir avec une parfaite précision ce que j’entends par économie rurale (V. cemot).Il n’est pas jusqu’ici de mot plus vague et plus mal défini. Le plus grand nombre entend par économie rurale l’ensemble des connaissances que suppose l’agriculture ; c’est un terme générique qui, à défaut d’autre, exprime une sorte d’encyclopédie agricole. Je ne le comprends pas ainsi. ;> Le professeur montrait ensuite le danger de confondre l’économie rurale avec toutes les sciences qui touchent à l’agriculture, et disait en terminant : « Que sera donc, que doit être le cours spécial d’économie rurale ? Le programme du concours que j’ai subi, le jugement du jury qui m’a nommé après une discussion publique, qui a porté surtout sur la nature de cet enseignement, l’ont décidé d’avance : ce sera un cours d’économie politique au point de vue spécial de l’intérêt agricole. L’économie politique considérée dans son ensemble est l’étude des lois générales qui régissent la production et la distribution des richesses. Les richesses peuvent provenir de deux sources ; de là deux branches de l’économie politique : l’une qui traite de la formation et de la distribution des richesses provenant du travail industriel et commercial, ou V économie industrielle ; l’autre qui traite de la formation et de la distribution des richesses agricoles ou l’économie rurale ; c’est à celle-là que nous devons nous attacher sans perdre de vue les principes généraux qui dominent l’une et l’autre, et qui sont les mêmes pour toutes deux. » Cette façon d’envisager Y Economie rurale était nouvelle ; elle nous paraît aujourd’hui encore être intéressante et exacte. On trouve d’ailleurs dans les lignes qui précèdent le résumé des idées générales que M. de Lavergne a plus tard développées et défendues, soit dans ces ouvrages spéciaux qui ont le plus contribué à sa réputation, soit dans les assemblées savantes où sa voix s’est fait entendre avec une autorité que personne n’a contestée. Pour mieux compléter du reste sa pensée et montrer non seulement la réalité de cette science qu’il voulait fonder, mais son utilité, Lavergne disait à ses élèves, dans la même leçon d’ouverture : « Il vous est impossible d’échapper, dans quelque position que vous soyez, aux questions économiques. J’ai eu l’honneur de faire partie, l’année dernière, de deux réunions composées de propriétaires et d’agriculteurs ; l’une était le congrès agricole, l’autre le conseil général de l’agriculture et du commerce. J’ai beaucoup écouté tout ce qui s’y est dit, je n’ai entendu soulever que des questions économiques. Toutes les fois que deux agriculteurs sont réunis, les questions agricoles proprement dites, c’est-à-dire celles des meilleurs procédés de culture, ne sont pas ce qui les occupe le plus, ce sont les questions économiques. Pour que le cultivateur puisse produire, il ne suffit pas qu’il sache cultiver, il faut encore qu’il en ait les moyens, c’est-à-dire des capitaux ; pour qu’il puisse produire avec avantage, il faut qu’il vende ses produits à un prix rémunérateur, c’est-à-dire qu’il ait des débouchés. Or, la science agricole vous apprend comment on fait du blé, de la viande ou du vin, mais elle ne vous dit pas comment se forment les capitaux pour les produire, et les débouchés pour les écouler ; c’est l’œuvre de la science économique ». Les remarquables études que M.de Lavergne publia dans la Revue des Deux Mondes sur l’économie rurale de l’Angleterre, de l’Ecosse et de l’Irlande procèdent du même esprit, et doivent être considérées comme l’application et le développement de ces doctrines relatives à l’influence prépondérante des questions économiques sur la production agricole. On y trouve également les vues les plus neuves et les plus judicieuses sur le produit brut des cultures et l’évaluation des richesses agricoles. Tout une théorie nouvelle plus exacte de la comptabilité agricole est née de,