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et de statistique qui ont eu, à leur heure, une réputation méritée et qui sont dignes encore d’attirer l’attention. On sait que Lavoisier était financier par profession ; en 1768, à l’âge de vingt-cinq ans, il avait débuté comme adjoint à un fermier général trop âgé pour remplir seul ses fonctions ; au bout de quelques années, il était l’un des membres les plus actifs de l’administration de la ferme et s’y faisait remarquer autant par sa modération envers les contribuables que par sa capacité. En 1771, il épousa la fille d’un fermier général, petite-nièce de l’abbé Terray ; en 1779, à la mort de son associé, il devint lui-même fermier général et réunit ces fonctions lucratives à celles d’administrateur de la régie des poudres, que Turgot lui avait données quatre ans auparavant. Les questions économiques l’attiraient assez pour qu’en 1771, alors qu’il était déjà membre de l’Académie des sciences et qu’il venait de commencer ses belles recherches en chimie, il entreprît de participer au fameux concours ouvert sur Colbert par l’Académie française. Les fragments de son travail, resté à l’état d’ébauche, ne nous montrent encore qu’un homme dont les idées ne sont pas bien assises, qui comprend bien le mécanisme monétaire, mais qui est imbu de préjugés sur la balance du commerce et sur la liberté de l’exportation des grains. Plus tard son langage est tout différent. Il a été lié par des sentiments d’amitié à Turgot et à du Pont de Nemours, qui entretint avec lui pendant de longues années une correspondance très suivie et malheureusement perdue, et il a accepté la plupart des principes de l’école physiocratique. Les procèsverbaux du comité de l’agriculture, créé par Calonne, en fournissent la preuve. Lavoisier était le véritable directeur de ce comité ; il avait fait lui-même le résumé des séances, y avait lu de nombreux rapports sur des questions agricoles et avait mis sa terre de Fléchines à la disposition de ses collègues pour des expériences à faire. Après la chute de Galonné, dans une séance solennelle et en présence de Brienne, il fit un exposé des réformes à faire "dans l’intérêt de l’agriculture et commença ainsi : « L’agriculture est pour la France la première et la plus importante de toutes les fabriques, puisque la valeur de ses productions territoriales estimées d’après des évaluations modérées s’élève chaque année à plus de deux milliards cinq cents millions... C’est cette reproduction annuelle qui fournit à la nourriture et à l’entretien du peuple, à l’aliment des manufactures, au commerce d’exportation, au payement de l’impôt ».

Après ce début digne d’un disciple de Quesnay, Lavoisier signale comme principaux obstacles au progrès de l’agriculture l’arbitraire de la taille, la corvée, la dîme, la forme vicieuse des droits sur les consommations, les visites domiciliaires relatives aux droits d’aide, de la gabelle et du tabac ; enfin le système prohibitif qui avait toujours été maintenu pour la sortie des denrées, comme si l’on eût dit aux cultivateurs : « Ou récoltez moins de blé, ou laissez-le périr dans vos magasins »,

Ces plaintes, si curieuses dans la bouche d’un fermier général, étaient exprimées au milieu d’un comité fermé et « dans le secret de l’administration ». Quelques mois plus tard, Lavoisier les répéta, publiquement et avec une énergie presque égale, à l’assemblée provinciale de l’Orléanais, où il représenta le tiers-état, bien qu’il appartînt, par les charges qu’avait eues son père, à la noblesse héréditaire.

En 1789, au contraire, lors de la convocation des États généraux, on le trouve parmi les délégués de la noblesse de Blois. Il rédige alors les instructions à donner aux députés et y imprime un caractère nettement libéral. Une constitution basée sur deux principes : la sûreté des personnes et la sûreté des propriétés, ce qui devait entraîner la liberté personnelle pour tous les citoyens et sous toutes les formes, la liberté d’écrire, la liberté de l’industrie et la suppression des monopoles et des jurandes, enfin le droit pour la nation de consentir les impôts, tel est le programme de Lavoisier. En ce qui concerne les impôts, il réclame la suppression de la taille et de la corvée et leur remplacement par une contribution territoriale ; mais — et sur ce point il se sépare des physiocrates, — il ne veut pas que les propriétés foncières contribuent seules aux dépenses publiques ; il demande que les revenus mobiliers, rentes, effets royaux, traitements et emplois lucratifs soient également assujettis à l’impôt. Il reconnaît, en outre, que les impôts indirects sont organisés de la manière la plus défectueuse et il en réclame la réformation.

Lavoisier ne fut que député suppléant aux États généraux et n’eut pas l’occasion de siéger ; mais il prêta son concours aux constituants pour refondre notre système fiscal et à ses amis du parti constitutionnel pour lutter contre les jacobins. Aucune statistique sérieuse n’existait alors ; les évaluations du revenu net de la terre qu’on considérait presque généralement comme le seul revenu imposable variaient du simple au double. Du Pont de Nemours avait fait à ce