Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/143

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l’industrie. Ces autres taxes procèdent d’idées tout à fait économiques ; elles appartiennent au domaine propre de l’économie politique. Elles ont leur origine et leur justification dans une philosophie de la production des richesses. Ce n’est donc pas affaire de convenance ou d’appréciation ; elles supposent, au contraire, une doctrine vraie ou fausse de la production des richesses et ont une influence vitale sur le bien-être des sociétés humaines,

, Définition : protection, protectionnisme. . Des taxes sontperçues à l’importation des objets de consommation afin de prévenir ou de diminuer l’importation de ces objets. Le but qu’on se propose est de fermer la route au commerce et de séparer des autres le corps politique qui établit ces taxes, dans des conditions d’une efficacité suffisante pour restreindre la division internationale du travail et l’échange des produits. Le résultat qu’on veut atteindre, c’est d’obliger les populations du territoire soumis à cet ensemble de lois à développer leur organisation industrielle au dedans des limites dans lesquelles on les a ainsi renfermées. Si un semblable système était poussé à l’extrême, on arriverait à produire un développement économique identique à celui d’un peuple où les industries de transport et le commerce seraient restés à un niveau assez bas pour rendre impossible les transactions’ avec les autres pays. Il est aujourd’hui impossible de mettre un pays dans un pareil isolement ; mais il résulte toutefois de l’application actuelle du système quelque chose comme un compromis compliqué entre ce qui serait si le pays était isolé, et ce qui serait s’il avait pu se développer dans les arts et le commerce du jour, sans intervention arbitraire. Les motifs spéciaux invoqués en faveur de cette espèce d’intervention par les lois, sont puisés dans ce fait que, dans le cours même du développement des arts, les formes de l’industrie qui sont pratiquées dans le pays subissent des changements.

Des « industries », comme on dit, c’est-à-dire des modes spéciaux de concours aux efforts productifs de la société, sont délaissées et d’autres sont cultivées. Ces changements entraînent des désagréments, ils amènent une diminution dans l’habileté professionnelle des uns, modifient la routine, détruisent des capitaux anciens. L’homme d’État intervient par les taxes qu’il établit afin de prévenir ces changements. On prétend encore qu’il est essentiel aux intérêts d’une nation de développer chez elle certaines formes choisies d’industries, pour que ses besoins soient satisfaits et que certains produits soient offerts à sa consommation,non par le commerce extérieur, mais par la production de son propre territoire ; et le législateur entreprend de faire fournir ces choses par la production intérieure plutôt que par le commerce extérieur en frappant ce commerce de taxes. Ce système est la protection. Du moment qu’il est sage pour un État, il doit l’être pour les autres. Aussi est-il essentiel, pour se rendre compte de ses effets, de supposer qu’il soit appliqué au même moment dans chacun des États qui forment un groupe géographique.

Les libre-échangistes objectent à ce système : en premier lieu, que c’est déclarer une guerre sans espoir au progrès des arts ; en second lieu, que c’est accroître indûment les fonctions de l’État et la responsabilité de l’homme d’État auquel on laisse à décider, soit spontanément soit par ce qu’il se laisse persuader, où et comment il emploiera son pouvoir d’intervention. Ils en appellent à l’histoire pour démontrer que de semblables interventions par les hommes d’État, directeurs des peuples, n’ont jamais servi qu’à entasser erreurs sur erreurs et pertes sur pertes. En troisième lieu, ils soutiennent que dans les États parlementaires modernes un pareil système dégénère presque invinciblement en abus ploutocratiques. C’est là une question de tout premier ordre qui se résout en ceci : une coterie peut devenir maîtresse des ressorts parlementaires ou exercer une influence directrice sur le ministère afin de faire servir la législation protectrice à son avantage exclusif aux frais du reste de la communauté. Dans les États modernes, les intérêts agricoles et les intérêts manufacturiers sont absolument différents. Des droits protecteurs peuvent charger les ouvriers de la culture au profit des artisans de l’industrie ou les artisans au profit des agriculteurs. Si l’on a la prétention de les charger les uns et les autres en même temps, chacun d’eux au profit des autres, il est évident qu’ils sont tous deux dupés et que personne n’y gagne, à l’exception de certains chefs d’industrie qui font d’énormes bénéfices dans leurs affaires et ne subissent que des pertes insignifiantes à titre de consommateurs dans la classe de la société à laquelle ils appartiennent. Il est vrai que les protectionnistes affirment que les droits ne sont pas supportés par un groupe national au profit d’un autre groupe national, mais bien par les étrangers. Supposons que les choses se passent ainsi. Prônons un ensemble d’États employant tout le système protecteur contre tous les autres. Chacun d’eux paye, dans cette hypothèse, les