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L’impôt moralise en restreignant les consommations nuisibles. Dans cet ordre d’idées, un auteur du xvnr 3 siècle prétendait régénérer la société par l’impôt : armé de la verge du fisc, Montyon s’attachait à distinguer les actes coupables des actes vertueux ; il voulait prévenir ou réprimer les premiers en les frappant durement, et encourager les seconds en les épargnant. « La finance dit : Si tu ne fais pas de ta richesse un usage sensé et moral, la taxation pourvoira au devoir de l’humanité, auquel il n’aura pas été satisfait. » Dès lors, Montyon préconise les droits contre les dépenses futiles, contre les domestiques mâles enlevés à l’agriculture, contre les professions malsaines, contre la chasse qui détruit les récoltes, etc. Il accable de surtaxes les égoïstes célibataires ; d’autre part, il favorise les mariages par des détaxes et la fécondité dans le mariage par des primes proportionnelles au nombre des enfants : « Sous quel auguste aspect se montre la finance, quand elle parait sous ces grands et nobles rapports ! Gomme elle s’élève au-dessus de cette industrie fiscale qui se borne à faire entrer quelques sommes de plus dans le trésor public 1 » (Quelle influence ont les diverses espèces d’impôts sur la moralité, V activité et l’industrie des peuples ? par Montyon, 1808, in-8.)

A ce point généralisée, la théorie devient facile à réfuter. D’abord, elle implique la nécessité de classifler officiellement tous les actes de la vie sociale, suivant qu’ils sont répréhensibles, d’une part, ou qu’ils méritent un encouragement, d’autre part. Personne,

— PÉ tat moins que tout autre, — ne saurait se charger de tracer une telle ligne de démarcation. Puis Pimpôt, aménagé dans ces bonnes intentions, risque souvent d’aller contre son but. Ainsi, la taxe proposée par Montyon à Pégard des industries insalubres ne réussirait qu’à provoquer chez les chefs de ces industries le désir de se récupérer du surcroît des charges fiscales en réduisant les salaires des ouvriers, en économisant sur les dépenses de précautions qu’exige la sécurité de l’établissement, en augmentant, en un mot, les chances de dangers.

Mais l’objection primordiale devant laquelle viennent échouer les combinaisons moralisatrices est celle de leur improductivité forcée. Le budget ne vit ni de théories sentimentales, ni d’expériences psychologiques : il pâtit pendant que Pimpôt moralisateur poursuit samission. L’idéal du système moralisateur serait la pénurie complète du Trésor, la pauvreté monacale résultant du règne absolu de la vertu : les tarifs excessifs auraient tué les consommations condamna-

— il — IMPOT

blés, et les dégrèvements auraient propage les actes méritoires, au point d’exempter tout le monde. Montyon, évidemment, fut mieux inspiré lorsqu’il entreprit de moraliser ses concitoyens, non plus avec l’argent des contribuables, mais avec ses propres libéralités, intelligemment distribuées. Même quand Pimpôt moralisateur cesse de constituer un système général et qu’il ne s’applique plus qu’à des cas isolés, bien déterminés, l’improductivité demeure toujours son vice essentiel. Dans cet ordre d’idées, on peut citer l’impôt sur Palcool, que les hygiénistes et les moralistes s’accordent à recommander en vue de restreindre, par l’élévation des prix, la consommation de ce funeste breuvage. La science financière aurait tort de refuser s on concours à de si salutaires expériences, mais elle ne saurait s’y associer qu’avec réserve. Si de nouveaux impôts deviennent nécessaires, les pouvoirs publics devront, sans aucun doute, choisir de préférence ceux que leur recommandent l’hygiène et la morale. Seulement, tout en favorisant ces vertus, ils ne devront jamais sacrifier pour elles les intérêts du Trésor : ils se refuseront, en conséquence, à toute élévation excessive’ de tarifs qui, dépassantlepoint susceptible de procurer le rendement maximum, risquerait d’appauvrir le budget. En un mot, ici comme précédemment, les intérêts du Trésor doivent toujours prédominer.

L’impôt, en effet, ne se justifie que par sa nécessité budgétaire. Là réside sa seule raison d’être, sa seule excuse. Le droit de puiser dans nos poches, de prélever, chaque année, une part de nos revenus et de nos facultés individuelles, est un droit exorbitant, par conséquent, strictement limité. Il ne saurait, donc, sans devenir un monstrueux abus, être détourné de sa seule destination légitime, celle de pourvoir aux dépenses publiques. . L’impôt doit être ancien pour atteindre son maximum de perfection relative. — Incidence des taxes. — Phénomène de leur translation.

— Les impôts nouveaux mettent beaucoup de temps a s’acclimater.

Avantages de l’ancienneté de Vimpôt.— La dernière qualité de l’impôt, restant à mentionner parmi les plus importantes, est Pancienneté. L’impôt nouveau demeure forcément défectueux pendant de longues années, et cela pour deux motifs. D’abord, quels que soient les progrès de Part fiscal, les débuts d’une organisation nouvelle laissent toujours à désirer.

Lorsque Pitt, en 1798, introduisit subitement Yincome-tax dans le système anglais, il ne réussit, du premier coup, qu’à créer un mécanisme très imparfait. Plus tard seule-