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par l’intervention de l’État sur une grande échelle. Son ministre Sully n’était pas de cet avis ; mais il voulait que le roi prit des mesures contre le luxe. Le roi, avec ce gros bon sens qui était le fond même de son caractère, lui répondait : « Qu’il aimerait mieux livrer trois batailles aux Espagnols que de se mettre à dos les bourgeois et leurs femmes en essayant de leur appliquer par la force des lois somptuaires. » Sully désapprouvait aussi les tentatives qu’on voulait faire pour introduire les vers à soie avec l’aide de l’État et il s’opposait à la colonisation du Canada par mesures administratives. Laffemas, père et fils (voy. ces noms), semblent avoir été particulièrement actifs à cette époque dans la poursuite d’une politique qui devait être plus tard celle de Colbert.

Dans un discours du même temps, « sur la cherté », il est dit : que l’or et l’argent sont la richesse du pays ; que les marchands de blé ne peuvent être tolérés que dans les temps d’abondance et que c’est le luxe et la prodigalité qui rendent les choses chères. L’auteur ne veut pas qu’on détruise le commerce qui nous procure des choses utiles et qu’il est charitable de ne pas l’arrêter ; mais les choses inutiles doivent être prohibées.

Dès cette époque, l’organisation économique prenait de très rapides développements ; de nouvelles institutions étaient inventées et on employait des procédés nouveaux pour le crédit, la banque et l’échange. Les contrats de vente se diversifiaient pour se prêter à de nouveaux modes de spéculation. Toutes ces innovations rencontraient de l’hostilité ; la classe moyenne était spécialement un objet d’aversion ; la vieille politique qui consistait à s’approvisionner de toutes choses était toujours en honneur au moins en ce qui concernait les lois sur les blés. L’ardeur à se procurer de l’argent devenait de l’estime pour les métaux précieux en eux-mêmes. Le luxe était regardé comme moralement malfaisant et méritait d’être réprimé : les marchands étaient blâmés parce qu’ils étaient regardés comme les agents principaux qui l’entretenaient.

Il n’y avait, bien entendu, alors, aucune notion du commerce international par lequel les nations se feraient concurrence. Un des thèmes favoris du temps était la distinction entre le mérite et l’utilité relative du commerce actif et du commerce passif. On a d’ahord employé ces expressions dans ce sens que le commerce actif voulait dire celui qui portait le propre produit de son pays sur un marché étranger, tandis que le commerce passif était celui par lequel les étrangers, de passage chez les autres, apportaient leur propres produits sur le marché d’autrui. Plus tard l’expression commerce actif a été employée pour signifier celui qui attire de l’or, et commerce passif celui qui le fait sortir. Dans les écrits des temps postérieurs et jusqu’à nos jours, ces expressions sont presque aussi souvent employées dans un sens que dans l’autre ; si elles ne tiraient aucune signification de l’image qu’elles emploient et n’étaient simplement employées que pour décrire un état de choses, elles pourraient être innocentes ; mais elles cachent toujours la pensée de distinguer le bon du mauvais commerce.

Dans le xvi e siècle, cette distinction était tenue pour un fait des plus positifs et des plus importants ; la pensée commune qui relie toutes ces opinions est la même que nous avons trouvée dans la période précédente. Le commerce n’est pas toujours bon ; il y en a des formes qui sont malfaisantes pour des individus ou pour le bien public et il faut en faire une étude particulière pour déterminer celles qui sont malfaisantes afin de les éviter.

. Les État3 dynastiques.

Les grandes découvertes du xvi e siècle et la formation des grands États dynastiques de l’ouest de l’Europe ont développé le commerce du. monde et fait pénétrer dans les esprits une notion nouvelle, à savoir que ce sont les États (et non pas les individus ou les compagnies) qui font ce commerce du monde. L’Espagne et le Portugal ont ouvert la voie. L’expérience de l’Espagne a été pour elle-même un étonnement comme pour le reste du monde. Elle a réussi à s’assurer des colonies contenant des mines d’or et d’argent, ce qui était la passion de tous les États. Elle a poursuivi de sang-froid une politique hostile aux races natives et à ses rivaux ; et cependant elle est devenue de plus en plus pauvre ; sa population a décliné avec une grande rapidité tant dans ses colonies que dans la mère-patrie. Blanqui a accrédité cette opinion que les Espagnols ont emprunté le système restrictif aux Vénitiens et que c’est Charles-Quint à qui il faut spécialement faire remonter la responsabilité de l’avoir fait adopter par le monde moderne. Cependant Colmeiro a prouvé par des raisons péremptoires, d’abord que le système restrictif a été en pleine Vigueur en Aragon et en Castille avant le xvi e siècle et ensuite que Charles-Quint et son fils ont été poussés par les Cortès aux extrémités où ils sont allés ; qu’ils retenaient au contraire le mouvement, et qu’il leur est même échappé des expres-