Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/162

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litique des États-Unis naissants et leur reproche de n’avoir pas compris qu’ils auraient pu, en matière de commerce, proclamer une liberté sans restrictions, sans exceptions ni privilèges, que les nations de l’Europe donnent la liberté au commerce, ou le laissent dans ses anciennes chaînes, ou lui en imposent de nouvelles.

Gondillac soutient que la liberté du commerce du blé serait plus avantageuse en France que partout ailleurs, si l’on y établissait une liberté absolue, tandis que les autres nations de l’Europe garderaient leurs systèmes de restrictions.

Il ressort clairement de tout ce résumé de l’histoire de la doctrine du commerce que nous venons de faire, que lorsqu’on fut parvenu à ces dernières propositions, on avait trouvé la vraie doctrine du commerce et qu’il ne peut pas y en avoir d’autre. Adam Smith ne s’est pas élevé aussi haut. Il critique bien le système colonial, mais il attend encore des colonies cette utilité : qu’elles fournissent un marché à la métropole et qu’elles donnent de l’emploi aux travailleurs nationaux. Nous pouvons nous rendre compte cependant du courant d’idées nouvelles qui se formait à cette époque et comprendre le lien qui rattachait ses idées à celles de ses contemporains. Il faisait partie d’un groupe nombreux de penseurs qui marchaient tous dans un même sens. Il put s’élever au-dessus de tous les autres, non pas qu’il différât d’eux, ou qu’il eût imaginé quelque chose qui leur était encore inconnu, mais parce qu’il a su développer les idées qui lui étaient communes avec eux, avec tant de suite qu’il en a formé un système d’ensemble, et parce qu’il a pu suivre ses idées dans des détails d’application qu’on avait jusque-là négligé d’approfondir. Quand on examine les doctrines qui avaient cours encore le jour où il écrivit son livre, on imagine qu’il a pu se dire : « On s’est occupé jusqu’ici de la « richesse des nations ». Arrêtons-nous et voyons tout d’abord ce que c’est que la « richesse des nations », quelle en est la nature, quelles en sont les causes ». En répondant à cette question, il avança de la notion de « richesse d’une nation » (c’est-à-dire d’une personnalité civile et politique) à la notion de « richesse nationale ». Sans doute, cette dernière notion renferme encore l’idée de la « nation » en tant qu’être de haute importance dans cet ordre d’idées ; mais désormais la nation n’est plus l’entité unique à laquelle seule les idées de richesse pouvaient se rapporter. Toutefois, de cette conception à celle de la richesse considérée comme un agent de bien-être matériel et comme un échelon du progrès social ou les . LIBERTÉ DES ÉCHANGES

hommes peuvent atteindre par le seul fait de l’organisation économique, et indépendamment de toute organisation civile ou politique, — entre ces deux conceptions, il y a une nouvelle et plus lointaine étape du développement de la pensée, et Smith n’y est pas parvenu.

. SmitManisme.

Nous avons constaté que les doctrines commerciales qui avaient trouvé crédit antérieurement à la seconde moitié du xvin siècle avaient toutes, en dépit des différences de détail, un caractère commun. Elles considéraient le commerce comme un fait à surveiller et dont il fallait se défier à cause des maux cachés qu’il recelait. Dans des circonstances qu’il était possible de prévoir, ces maux tombaient tantôt sur l’une et tantôt sur l’autre des parties que le commerce mettait en présence. Si l’on nous permet d’ajouter à notre vocabulaire le mot tant soitpeu pédant de Smithiamstne, nous l’emploierons pour désigner la doctrine dont Smith a été le maître le plus éminent. Le caractère propre de cette doctrine, ce qui la distingue des anciens systèmes, c’est qu’elle a posé en principe que les deux parties gagnent à l’échange. Si l’on considère que le bénéfice est réalisé en utilités et non pas en quantités de marchandises ou d’argent, il n’est pas étonnant qu’il se soit écoulé un aussi long espace de temps avant qu’on ait trouvé la solution du problème. D’après la nouvelle doctrine, chacun, dans l’échange,’ donne ce qui lui est moins utile et, puisqu’il y a deux parties en présence, il y a réciprocité Les marchands profitent de l cette circonstance en raison des différences qui résultent du temps et du lieu. Leur profit a sa raison d’être dans l’appel qui leur est fait pour égaliser l’utilité d’une même marchandise en différents lieux et à différents moments. Aussi leur activité s’exerce -t-elle sans cesse pour distribuer les produits disponibles de manière à ce qu’ils atteignent, au moment où ils vont être mis en consommation, le maximum d’utilité dont ils sont susceptibles pour tous ceux qui ont un intérêt sur un marché quelconque en raison des produits, de quelque nature qu’ils soient, qu’ils y ont apportés eux mêmes. Le commerce maintient, en outre, le système productif dans un état de tension extrême, mettant incessamment à la disposition du producteur les approvisionnements dont il a besoin et l’assurant d’un écoulement sans interruption des produits de sa fabrication.

Il est rare de rencontrer, dans l’histoire de la pensée humaine, de lutte où les argu-