Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/163

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ments aient été plus pressés, plus précis et plus soustraits à l’équivoque que celle qui s’est engagée entre la doctrine qui enseigne qu’il n’y a qu’un gagnant entre deux parties qui font un échange et la doctrine qui enseigne qu’il y a du gain des deux côtés.

n’y avait pas plus de compromis possible 

entre ces deux doctrines qu’entre la théorie des systèmes du monde qui mettent l’un le soleil, l’autre la terre au centre de l’univers. L’une des deux est absolument vraie, et l’autre absolument fausse- L’histoire n’y peut rien, si ce n’est de conter la bataille. La bataille est elle-même une question de fait. Si l’on veut discuter les principes économiques, il faut affronter la dispute et avoir sa solution et en tirer toutes les conséquences qu’elle comporte. La méthode de développement de toutes les sciences est la même. Tout d’abord, une observation grossière amène une explication conjecturale. De cette explication conjecturale on tire des règles de conduite qui seront sages si l’hypothèse est vraie. Naturellement, les faits ne donnent jamais une justification absolument complète de l’hypothèse. On modifie alors l’hypothèse ou on la corrige. De là une nouvelle doctrine. Si cette nouvelle doctrine est vraie, on en tire de nouvelles règles de conduite et ces nouvelles règles sont à leur tour essayées et mises à l’épreuve . A la fin du xvni e siècle, le mercantilisme était réfuté. La philosophie du commerce avait atteint un autre niveau. Le pas qu’il y avait à franchir avait pour objet de faire entrer la nouvelle doctrine dans la pratique administrative. Il faut réussir à faire ce pas décisif avant qu’il se produise un progrès nouveau dans la science ou dans l’administration. Si Ton ne peut y arriver, si Ton ne satisfait pas à ces conditions, quelle que soit la raison du temps d’arrêt, on rend la science stérile et on la voue au mépris. Si la nouvelle doctrine ne justifie passa prétention d’avoir une action favorable sur le bien-être de l’humanité, c’est en vain qu’on essayera de rendre à la science une autorité quelconque dans une autre occasion. Certaines conclusions s’imposent inexorablement à l’esprit comme conséquence de la nouvelle théorie du commerce.

° Si les deux parties en présence gagnent dans l’échange, il n’y a pas lieu de distinguer plus longtemps entre le commerce qui fait du bien et celui qui fait du mal. Les lois économiques deviennent alors absolument indépendantes des lois morales du commerce. Les vieux liens qui asservissaient les lois économiques aux lois morales sont enfin brisés. Le commerce devient dès lors une opération absolumentimpartialedont l’objet est de satisfaire les besoins matériels. On peut l’étudier à titre de simple opération. Si son intervention est demandée, il se met en mouvement ; si non, il demeure inactif. 11 n’a donc en lui-même ni qualité, ni caractère propre. La notion d’une qualité qu’il posséderait en propre, bonne ou mauvaise, apparaît comme un reste de mythologie, La morale du commerce n’appartient pas à un autre ordre d’études que la morale en général. Elle repose sur ce que peut faire un individu dans le commerce et ne diffère en quoi que ce soit de la morale dans ses rapports avec les mines, les filatures, renseignement, la littérature et toute autre fonction de l’ordre social où l’on peut faire du mal si on le veut.

  • Si les deux parties en présence gagnent

dans l’échange, il n’y a plus aucune nécessité de réglementer le commerce. Laissez-le aller. Tant qu’on y trouvera intérêt, on s’y livrera. L’homme d’État est déchargé d’un immense fardeau. Le nationalisme devient inutile. Notre tableau historique a certainement apporté la preuve qu’au milieu du xvm* siècle le premier besoin du commerce était qu’on le laissât faire. On est fatigué de lire ces plaintes qui se répètent pendant des centaines d’années sur ce que le commerce décline et que l’industrie périt. On ne voit rien d’autre dans l’histoire. Il y avait beaucoup de vrai dans ces plaintes.

Si les arts n’avaient fait des progrès aussi rapides et si l’occupation du nouveau monde (« l’exploitation des continents excentriques par les centres de civilisation ») n’avait pas été aussi prompte, l’ancien système aurait absolument étouffé l’industrie. Si les découvertes et les inventions n’avaient pas accru la puissance de l’humanité en moins de temps qu’il n’en fallait aux économistes et aux hommes d’État de l’époque pour anéantir la puissance économique accumulée dans lepassé, la marche de la civilisation aurait été arrêtée. ° Si les deux parties en présence gagnent dans l’échange, le laissez-faire est la sagesse même. Ceux qui objectent que le laissez-faire n’est pas une panacée, n’ont pas compris le sens de cette formule. Elle est justement fondée sur ce principe, qu’il n’y a pas de panacée du tout. C’est un moyen de sauver les malades du mal que leur font les docteurs. Elle renferme le plus haut enseignement qu’on puisse trouver dans l’étude de la science sociale en montrant que les avocats du laissez-faire ont appris à se défier de leurs propres idées. Les avocats du laissezfaire n’ont pas en effet la prétention d’empêcher tous les vieux élixirs de se produire afin de faire prendre le leur à la place. Ils