Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/172

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elles ne sont pas encore complètement sorties de tutelle. Or, par une sorte d’atavisme et d’habitudes prises, de préjugés, enracinés surtout par la tradition, l’homme regrette le temps d’autrefois, ce que l’on a appelé le bon vieux temps ; la responsabilité que donne la liberté économique lui pèse, et il tourne ses regards vers le passé comme vers un idéal disparu.

Cette ignorance presque générale de l’évolution économique présente un des obstacles les plus sérieux à l’établissement complet de la liberté. Elle présente surtout un terrain facile à exploiter pour tous ceux qui cherchent à échapper à la loi de la concurrence, en obtenant des monopoles. Comme, dans la plupart des pays, les partisans de la protection et du monopole, c’est-à-dire delà réglementation du travail à leur profit, ont su flatter les passions populaires en parlant de patriotisme, de nationalisme, il s’ensuit que l’opinion générale flotte assez incertaine, attendant des faits, une preuve pour juger de l’efficacité des mesures prises. Et puis, comme dans toutes les périodes de début, les erreurs ont été nombreuses, qu’on a commises sous le nom de liberté ! C’est pourquoi la lutte pour la vie paraît si dure et provoque tant de doléances. Pourtant, si Ton comparait, au moyen de ce que nous savons d’histoire, l’évolution qu’a suivie l’organisation autoritaire des sociétés, avec l’organisation actuelle si incomplète, l’avantage serait certainement, même pour le régime bâtard sous lequel nous vivons aujourd’hui. La guerre aussi est un des plus gros obstacles que rencontre rétablissement de la liberté économique, et parce qu’elle sépare les peuples, entrave le commerce, détruit des forces vives, et parce que sa préparation grossit les budgets et alourdit les charges déjà fortes ■ des contribuables. Mais entre ces deux maux, la guerre par les armes et la guerre par le monopole, s’il existe quelque différence, elle n’est certainement pas en faveur de la protection. La science aura beau pousser aussi loin que possible ses découvertes, elle n’arrivera jamais à donner à ses engins de guerre la puissance destructive d’un tarif de douane. . Historique.

Ce sont les physiocrates (voy. ce mot) qui, les premiers, ont proclamé comme conséquence d’une doctrine générale, la liberté économique. Avant eux, on trouve dans les auteurs de toutes les époques qui se sont occupés spécialement de questions commerciales, des vues fort libérales. Résultats d’observations particulières, ces idées éparses dans les livres ne pouvaient évidemment créer une doctrine. Peu à peu, cependant, par la simple force des choses, c’est-à-dire par l’extension de plus en plus grande du commerce, la liberté économique s’est fait jour. Ses avantages étaient déjà connus depuis longtemps des gens de négoce, que les lettrés les ignoraient encore. Il fallut les crises financières permanentes contre lesquelles la France eut à se débattre au xvm e siècle pour que les écrivains prissent souci de l’organisation sociale. Et encore, nous les voyons dès le début de leurs critiques s’attaquer surtout à l’impôt, tellement l’idée primitive de l’action de l’État était maîtresse de leur esprit. Boisguilbert arrive alors avec des vues nouvelles ; il cherche des remèdes à la situation précaire du pays, il analyse les causes de notre impuissance économique et établit avec une grande hauteur de vues la nécessité de la liberté des échanges. Après lui les physiocrates reprennent cette idée, la font rentrer dans une théorie d’ensemble plus philosophique et la présentent au monde sous une forme plus sentimentale. C’est de ces idées de liberté et de solidarité économique que plus tard la Révolution tirera l’idée d’égalité devant la loi, condition nécessaire de la liberté des échanges.

Il faut ne pas connaître ce développement historique pour affirmer que les économistes ont toujours raisonné à priori. Toujours les faits ont précédé les théories, forçant pour ainsi dire les esprits les plus prévenus à observer, à ouvrir les yeux. Qui donc a introduit un droit plus large, plus civilisateur dans l’antiquité, ce jus gentium devenu le droit commercial ? N’est-ce pas, sous la pression de la nécessité, les échanges faits entre étrangers d’abord en contrebande, ensuite ouvertement, sous la haute justice du préteur pérégrin ? Est-ce que la création de la lettre de change, les habitudes commerciales fort libérales entre commerçants, même au moyen âge, avaient attendu Boisguilbert pour se faire jour ? Et ne voyons-nous pas qu’au fond, la liberté politique en germe dans l’affranchissement des communes, a pour cause un fait économique qui relève de la liberté du commerce. Écrasées d’impôts, soumises à des vexations de toutes sortes, les communes ont recherché surtout un état social pacifique, une administration régulière qui leur permît de développer les corps de métiers et d’étendre leur commerce. Mais lorsque l’on envisage le développement de la liberté économique chez différents peuples, on trouve des évolutions historiques très dissemblables, qui tiennent à l’état social de ces peuples. En Angleterre, on peut dire que la liberté économique est