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MAINMORTE

MAINMORTE

ceux qui les occupaient en défrichant des territoires incultes, en formant ainsi des centres de population et des modèles de culture, en distribuant des secours, en donnant l’enseignement, en assurant le culte rendaient aux familles des services nécessaires, qu’elles auraient dû sans cela payer avec les impôts. La Révolution n’était pas achevée que déjà elle se trouvait obligée de rétablir la mainmorte qu’elle avait abolie. Le Directoire, inquiet de voir les hôpitaux sans ressources renvoyer leurs malades et les pauvres rester sans secours, parce que le Trésor public était vide et que les établissements charitables avaient été dépouillés, rendit à ces maisons ceux de leurs biens, ainsi que les biens des anciennes fondations charitables, qui n’avaient pas été aliénés et il fut permis pour l’avenir de donner ou léguer dans une vue de bienfaisance. C’est ce qui fait actuellement le fond des ressources de l’assistance publique (voy. ce mot).

Lorsque le premier consul rétablit officiellement en France le culte catholique, il érigea le budget des cultes en compensation du revenu des biens ecclésiastiques saisis par l’État en 1790 et vendus par lui et, comme ce budget était insuffisant, il permit aux églises, aux évêchés, aux cures, aux séminaires, de se refaire un patrimoine avec des libéralités privées. Il se réserva d’autoriser ces libéralités et y mit des conditions souvent rigoureuses, mais le principe était posé ; il est resté dans nos lois : c’est bien le patrimoine de mainmorte rétabli en vue du culte, comme il l’avait été déjà au profit de l’assistance publique.

Depuis, le pouvoir public a autorisé diverses sociétés savantes à avoir un patrimoine qui leur permet d’abord de vivre et ensuite d’encourager les sciences ouïes arts en proposant des récompenses. Il a fait plus et, en J875, il a décidé que les Facultés auxquelles on permettait de s’établir pour donner librement l’enseignement supérieur pourraient aussi posséder. Plusieurs de ces Facultés ont usé de ce droit et érigé des bâtiments qui sont leur propriété et une propriété de mainmorte.

Afin de ne pas laisser cet avantage aux seules Facultés libres, un décret de 1885 a permis aux Facultés de l’État de se constituer un patrimoine. Ceci est notable, car ces Facultés relevant du gouvernement sont entretenues par lui, c’est lui qui fournit les bâtiments et paye les professeurs ; et cependant on a cru que la possession d’un patrimoine leur donnerait une vie propre et originale qui leur fait défaut. On a pensé que les habitants du lieu s’attacheraient à une institution que leurs libéralités auraient dotée ; on a cru que professeurs et élèves s’attacheraient plus à un établissement dont les ressources seraient accrues et accrues avec un fonds dont ils régleraient l’emploi. L’un des auteurs de cette mesure annonçait que déjà les libéralités faites à ces Facultés leur assuraient au delà de 50 000 francs de revenu et il se félicitait de ce résultat, qui est pourtant le rétablissement de la mainmorte au profit des maisons d’enseignement. La loi de 1884 sur les syndicats professionnels l’a rétablie au profit de ces associations en leur permettant d’avoir les bâtiments nécessaires à leurs réunions, à leurs bibliothèques, à leurs cours professionnels. L’armée même commence à avoir des biens de mainmorte ; ainsi la Caisse des offrandes nationales pour les blessées des armées de terre et de mer, fondée après la guerre d’Italie, possède actuellement plus de % millions de rente et on voit souvent le président de la République autoriser tel régiment à recevoir un don ou un legs ayant une affectation déterminée, par exemple assurer la distribution de prix de tir.

C’est ainsi que, malgré l’hostilité des gouvernements successifs et un préjugé toujours fort, la mainmorte reprend parmi nous sa place, parce que cette place est nécessaire.Elle s’accroîtrait encore si le pouvoir public consentait à laisser aux particuliers divers services d’utilité générale dont il s’est chargé, mais dont les citoyens associés s’acquitteraient avec plus d’économie et plus d’équité que lui. Ainsi, dans la République des États-Unis d’Amérique, les fonds nécessaires au culte sont faits par des libéralités privées, cotisations ou capitaux. La propriété de ces derniers est au nom des associations ou de l’évêquedu diocèse à perpétuité. Les établissements d’instruction supérieure, les universités, sont constitués par des libéralités privées et dotés souvent de la façon la plus large. Les citoyens des États-Unis, esprits modernes et pratiques cependant, se réjouissent de voir multiplier ces biens, servant à assurer le culte, l’enseignement, l’assistance. Ils n’ont jamais craint que la richesse publique fût diminuée, parce que des services nécessaires sont procurés par des libéralités privées au lieu de l’être par l’impôt. Il en est de même dans un pays voisin et non moins florissant, au Canada.

« La mainmorte et la dîme, ces têtes de turc du libéralisme européen, écrit M. de Molinari dans ses Lettres sur les Ëtats-JJnis, n’empêchent pas plus l’accroissement de la richesse au Canada qu’elles ne l’ont empêché en Angleterre. Le clergé et les corporations