Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/215

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religieuses n’ont garde de conserver en friche leurs biens, ils les louent et sont généralement des propriétaires moins durs au pauvre monde que les enrichis de fraîche date. Ils appliquent la presque totalité du revenu qu’ils tirent à des œuvres d J éducation ou de bienfaisance. L’université Laval, à Québec, qui ne coûte pas un denier aux contribuables, est entretenue sur les revenus du séminaire de Saint-Louis, et c’est une institution qui ferait bonne figure même en Europe. Elle n’a pas moins de sept cents étudiants. » Un peu après, le même auteur cite l’asile Beau fort, « où les aliénés des deux sexes sont installés comme dans un palais d’été aux frais du séminaire de Saint-Louis ».

Le Canada est un pays de tradition et d’anciennes mœurs ; mais il est remarquable que, parmi nous, les esprits les plus novateurs, dès qu’ils n’invoquent pas le service de l’Étatpourexécuter leurs conceptions, mais s’adressent à l’initiative privée et tentent d’agir eux-mêmes, ont de suite l’idée d’ériger un patrimoine de mainmorte comme le soutien nécessaire de leur œuvre et le seul moyen de la faire durer. Ils n’emploient pas le mot de mainmorte parce qu’ils ont appris aie haïr, mais, en détestant le mot, ils demandent la chose, pressés par un sentiment irrésistible.

C’est ainsi que le promoteur, en France, des sociétés coopératives, J.-P. Bûchez, grand admirateur pourtant de la Révolution et de ses doctrines, recommandait absolument comme moyen nécessaire de faire réussir les sociétés qu’il vantait de fonder dans chacune d’elles un capital indivisible et inaliénable qui n’appartiendrait pas aux associés, non pas même à l’association, mais à l’idée, mais au principe dont ce fonds devait servira procurer le triomphe. Et la première association fondée d’après ses idées et sous sa direction, en 1834, l’Association des ouvriers bijoutiers en doré, avait établi ce fonds inaliénable et indivisible. Nombre de fondateurs de sociétés ouvrières ou d’institutions économiques ou de prévoyance à l’usage des ouvriers recommandent actuellement avec non moins de force et essayent avec autant de conviction d’établir un fonds semblable et on les surpendrait fort en leur apprenant que ce n’est point, comme ils le croient, une innovation hardie, mais l’application du vieux principe de la mainmorte. C’est cette tendance que M. Léon Say signalait dans une lettre publiée par le Journal des Économistes du 15 octobre 1890, en ajoutant que si la législation et les formes a dmiuis tratives n’y mettaient obstacle, on verrait bientôt se constituer une main-^morte laïque érigée par les sociétés de prévoyance et de secours, dont on ne pouvait marquer actuellement ni l’étendue ni les heureux effets.

. Intervention de la loi.

La propriété de mainmorte doit être réglée par la loi comme toute propriété et ces règles ne peuvent être les mêmes que pour la propriété individuelle, puisque sa nature est autre. Ainsi, l’État peut exercer sur elle une sorte de tutelle. Mais Une faut pas que, sous couleur de régler cette propriété, il l’empêche de se former, ni que, sous prétexte de tutelle, il l’opprime et la ruine ; car les lois sont faites pour rendre la vie commode et les peuples heureux et non pour leur ôter leurs libertés naturelles et, d’autre part, un tuteur, fût-ilTÉtat, manque à son rôle quand il vexe et dépouille son pupille. On a vu (Association et Fondation) quels obstacles la législation et l’administration en France apportent à la formation d’abord, et ensuite à l’existence des propriétés de mainmorte, malgré leur utilité, et combien cette législation et ces pratiques sont contraires à la fois au respect de la liberté des citoyens et à l’intérêt public ; il n’y a pas à y revenir. Deux questions seulement vont être examinées : Est-il bon que les biens de mainmorte soient forcément placés en une même valeur, par exemple en rentes sur l’État ? faut-il fixer un maximum à ces sortes de biens ?

Le gouvernement de l’ancienne monarchie avait déjà tenté d’amener cette transformation des biens de mainmorte, qui alors étaient presque tous immeubles, en fonds d’État ; sous Louis XVI, il sollicitait ceux qui avaient la gestion de ces biens, de les transformer en argent et de verser cet argent au Trésor public qui en payerait l’intérêt à 5 p. 100. Il ne semble pas que cette tentative ait abouti. En Espagne, ce placement est obligatoire : tout bien de mainmorte doit être mis en rente sur l’État et, en France même, la pression administrative a contraint nombre d’établissements charitables à placer ainsi leur avoir. Il en est résulté ceci : qu’en France toute conversion de la rente diminue les revenus de nombreuses maisons hospitalières, et qu’en Espagne, l’État ayant suspendu le payement de ses rentes, les établissements charitables s’y sont trouvés tout à coup sans aucune ressource. Pourquoi ne pas laisser aux associations ou aux fondateurs de qui viennent ces biens le soin de les constituer avec la valeur, suivant eux, la plus avantageuse et la mieux appropriée à la destination