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IMPOT — 18 —

. Impôt en argent, seul praticable aujourd’hui. Depuis lors, le payement en argent prévalut définitivement dans notre législation fiscale, comme dans les législations étrangères. On ne rencontre plus d’impôt en nature, que dans quelques petits pays, tels que la principauté de Bulgarie, qui, chaque année, annonce, au mois d’octobre, l’adjudication des céréales provenant de la dîme de la récolte courante.

Considéré en lui-même, en effet, l’impôt en nature présente deux graves défectuosités : d’abord, il frappe le produit brut, c’est-à-dire la totalité de la récolte, sans tenir aucun compte des frais que sa production a coûtés. Or, ces frais peuvent avoir été considérables et ne laisser qu’un très minime produit net, malgré l’abondance apparente des résultats bruts. C’est donc là déjà un procédé injuste et décourageant. « La prinùpale objection contre la dîme, dit Ricardo, ist que sa valeur augmente à proportion que a difficulté de produire du blé s’accroît. Elle devient ainsi très onéreuse et extrêmement oppressive. » [Des principes de l’économie politique et de l’impôt.)

Pais, la perception en nature est actuellement irréalisable : cette seconde objection aurait pu, dès l’abord, dispenser de la précédente. Est-il possible, en effet, de concevoir, dans un pays tel que la France, la collecte annuelle de plus de 300 millions d’hectolitres de grains, sans parler de toutes les autres récoltes en fourrages, fruits, racines, raisins, etc., leur emmagasinera ent, leur conservation, leur transport et leur vente, effectués par les soins de l’État ? Vauban, sans doute, a pu imaginer ce chimérique projet, il y a deux cents ans environ ; mais déjà l’expérience contemporaine du xvii] e siècle l’aurait détrompé. Aujourd’hui, en présence de l’extension des surfaces cultivées, de la variété des culture s,, du morcellement des héritages et des progrès de l’esprit public, personne ne saurait plus songer à partager les produits en nature au bout du champ, entre chaque propriétaire et le collecteur du fisc. Voilà, au moins, une vérité que le temps semble avoir définitivement consacrée.

. Impôt de capitation. — Théorie de Proudhon. ~ La capitation graduée sous l’ancien régime. — Son abolition en Russie. — Place occupée par l’impôt personnel dans le système actuel. — Idées de l’Assemblée constituante et de la Convention à son Sujet. La capitation, c’est-à-dire l’imposition uniforme, quelles que soient les facultés in-. dividuellesdes contribuables, n’a jamais, à IMPOT

elle seule, constitué un système fiscal, sauf peut-être chez les peuplades primitives qui n’ont pas d’histoire financière. En effet, aussitôt que les premiers rudiments de la civilisation se développent, une telle inégalité commence à se manifester dans les conditions individuelles, que l’impôt uniforme par tête devient trop évidemment injuste pour subsister. A plus forte raison, dans les sociétés modernes, personne ne saurait plus songer à frapper d’une même taxe l’opulence et la misère.

Aussi n’aurions-nous pas à parler de cette conception, considérée sous sa forme absolue, si un auteur célèbre ne s’en était fait le défenseur attitré. Proudhon qui, dans ses ouvrages, soutient successivement toutes les thèses avec un rare talent d’expression 1 , s’exprime ainsi au sujet de la capitation : « La taxe n’est pas répartie en raison de la force, de la taille, ni du talent ; elle ne saurait donc l’être davantage en raison de la propriété. » Chacun est égal à son voisin, chacun vaut autant que tout autre ; la logique n’admet pas de différences entre les citoyens d’une même nation : plus de riches ni de pauvres ; plus de propriété. « La propriété est impossible parce qu’elle est la négation de l’égalité. » Une fois tous les hommes ramenés à l’égalité complète de fortune par la suppression de la propriété, l’égalité des charges fiscales individuelles devient la conséquence logique de cette grande réforme sociale. (Proudhon, Contradictions économiques. ) On voit à quelles sortes de théories se rattache la capitation, érigée en système général.

Du reste, dans un autre ouvrage, Proudhon se charge lui-même de réfuter ses propres sophismes. La formule suivante, à laquelle il aboutît alors, nous ramène à notre point de départ : « Il s’agit, dit-il, de faire contribuer les citoyens, non seulement par tête, la capitation ne pouvant être seule employée que dans le cas d’une excessive réduction d’impôt, mais chacun selon ses facultés, ainsi que nous l’avons fait voir. » (Théorie de Vimpôt.)

La capitation (voy. ce mot) apparaît ainsi comme une imposition subsidiaire, dotée d’un léger tarif, et destinée à faire contribuer tous les citoyens, pour un minimum, aux dépenses de la chose publique. C’est sous cette i. M. Baudrillart apprécie ainsi les procédés de discussion de Proudhon : « Nulle devise n’est moins justifiée que celle qu’il met en tète de son ouvrage : Destruam et ssdifleabo. Ce livre ressemble véritablement à un champ de carnage. Le pour y détruit le contre et le contre y détruit le pour. On est étonné, étourdi, déconcerté. La pensée a besoin de se ressaisir elle-même, après une telle lecture ». {Revue dès Deux Mondes, 1" février 1873.)