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et les lins, en former ensuite différents tissus, et puis les tailler pour en faire des vêtements, des chaussures. » Turgot nous fait toucher du doigt les matières premières, mais il n’en dégage pas la formule scientifique. Même observation à l’endroit de l’argent (§ .52), où il indique comment les métaux précieux ont concouru à l’accumulation des capitaux. Dupont de Nemours ne se montre pas mieux inspiré. Au contraire, dans ses deux traités, Introduction à la philosophie économique et Explication du traité économique, l’abbé Bandeau, reprenant la notion et la formule de matières premières au point où Quesnay les avait laissées, a représenté une analyse des plus remarquables qu’il est juste de remettre à sa place dans la science. Dans le premier, J’abbé Baudeau classe les productions en deux catégories : « l°les objets de consommation subite, ce sont les subsistances ; 2° les objets de consommation très lente, vêtements, habitations, ce sont les matières premières ». Par suite, il divise les ouvriers en « ouvriers des subsis- . tances, ouvriers des matières premières dans les ateliers, ouvriers qui façonnent celles-ci dans les boutiques. D’où nécessité de multiplier les subsistances et les matières premières en vue de la production générale. » On ne dirait pas mieux aujourd’hui. Toutefois, l’abbé Baudeau est bien autrement clair et précis dans le second traité : « Ce n’est pas tout, madame, que de manger et de boire ; encore faut-il être vêtu, logé, meublé, porté, amusé. Donc la laine, le coton, le chanvre, les bois, les métaux, produits totalement bruts par la nature, recueillis de ses mains, peu façonnés par les cultivateurs, mais assortis, polis, arrangés,’ mélangés, sont matières premières. » Voilà bien la formule scientifique : n’importe que ce ne soit pas la nature, tant s’en faut, qui les prépare et qui les donne — la formule est nettement accusée. L’abbé Baudeau en développe ensuite la signification dans la répartition des subsistances et des matières premières entre les trois classes de la société. La production du sol est divisée en cinq parts. Trois appartiennent aux cultivateurs qui en dépensent deux et en convertissent une en matières premières. Les propriétaires en reçoivent deux. Us en dépensent une et en convertissent une en matières premières. Les classes dites stériles (industrie, commerce, services divers) ont par suite à leur disposition deux parts. Elles en consomment une et transforment la dernière ; les cultivateurs reçoivent un tiers et les propriétaires un tiers des transformations. Le dernier tiers reste aux classes stériles. Ainsi 11.

MATIERES PREMIÈRES

les classes dont la fonction économique est de transformer les matières premières reçoivent les 2/S du revenu social bruts contre les 2/15 transformés. Les proportions ne sont pas très exactes — mais elles ont de l’intérêt. Laissant de côté la distribution du revenu social des physiocrates, Adam Smith montre comment les entrepreneurs de travail mettent à la disposition des ouvriers les matières premières qu’ils ont réunies et il analyse à la fois les conditions du salaire pour l’ouvrier à raison de son travail et du profit à raison du capital fourni par l’entrepreneur sous forme de matières premières (Richesse des nations, livre I, chap. vi). La formule revêt ainsi une apparence plus scientifique. Adam Smith y revient, au surplus, au chapitre xi du même livre, à propos de la rente de la terre. Les matières premières proviennent directement de la terre, surtout avant qu’elle soit livrée à la culture. « Dans son état primitif et inculte, dit-il, la terre peut fournir des matières premières de vêtement et de logement pour beaucoup plus de personnes qu’elle ne peut en nourrir. » Au fur et à mesure que la culture s’étend, sous la double application du travail et du capital, la terre livre moins à l’homme de matières premières ; les matières premières, à l’origine sans valeur et jetées comme inutiles, deviennent plus rares et sont plus recherchées ; elles suffisent alors à assurer une rente au propriétaire du sol, Adam Smith développe ainsi son idée dans de fort belles pages sur les peaux des animaux, sur leur laine, sur les bois, sur le charbon de terre, sur les métaux précieux et les pierres précieuses. La plupart des pierres précieuses, même les fragments de cristal de roche, peuvent être considérées comme des matières premières, mais en est-il de même pour l’or et l’argent ? N’exigent-ils pas l’un et l’autre une préparation savante et coûteuse à laquelle les bois, les charbons, les pierres ne sont pas astreints ?

Et cette préparation n’équivaut-elle 

pas à cette transformation de la terre par la culture qui, comme le fait comprendre Adam Smith, convertit lentement une partie de la terre en d’innombrables ateliers de produits divers dont les uns, comme le bois, le coton, les peaux, les os et la laine des animaux, le lin, le chanvre, la soie, et leurs similaires, le charbon, les minerais de toute sorte, le ? 1 pierres, forment les éléments fondamentaux des matières premières et dont les autres, d’après la distinction de l’abbé Baudeau, sont destinés à la subsistance de l’homme et des animaux ?

Nous rappelons ces diverses explications de la formule Matières premières, afin d’in-