Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/25

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

. Impôt progressif. — Sa définition. — H aboutît forcement à la spoliation ou à l’arbitraire.

— Exemples de sa mise en application. — Assentiment plus ou moins restrictif que divers auteurs lui ont donné. — Opinion de Jobn-Stuart Mill à son sujet. — Projets actuels d’impôt progressif, spécialement en matière de successions.

Le système de la progression, en matière d’impôt, consiste à faire croître le taux des tarifs au furet à mesure que les valeurs auxquelles ces tarifs s’appliquent deviennent plus importantes. La proportionnalité, au contraire, maintient les tarifs à des taux invariables. M. Levasseur, dans son excellent Cours d’économie politique, dit : « On appelle impôt progressif celui qui est prélevé d’après un tarif d’autant plus élevé que les facultés des contribuables sont plus grandes. » M* Paul Leroy-Beaulieu, dans son Traité de la science des finances, définit l’impôt progressif : « Celui qui prélève une quote-part d’autant plus grande du revenu de chaque citoyen que ce revenu est plus considérable. » Peut-être vaudrait-il mieux ne parler ici ni des facultés, ni des revenus, parce que l’impôt réussit rarement à les atteindre d’une manière complète. En substituant donc à ces mots ceux de valeurs imposables, on obtient la formule suivante : « L’impôt progressif est celui dont le tarif s’élève progressivement avec le montant des valeurs auxquelles il s’applique *. »

Si, par exemple, sur cent francs de revenu, TÉtat prélève un franc à 1 p. 100, sur mille francs il prélèvera, non plus dix francs à 1 p. 100 comme le lui aurait fait faire l’impôt proportionnel, mais vingt francs à 2 pour 100. Sur dix mille francs, ce sera trois cents francs à 3 p. 100. Sur vingt mille francs, huit cents francs à 4 p. 100. Ainsi de suite progressivement, d’après un taux croissant 4e 4 p. 100, à 5 p. 100, à 6 p. ’100, à 10 pour 100, etc., et si la progression n’est pas arrêtée, jusqu’à 60, 80 et même 100 pour 100, c’est-à-dire jusqu’à la confiscation pure et ■simple.

Les échelons du tarif progressif ne s’établissent pas toujours forcément d’après ces lois mathématiques inéluctables. Dans la pratique, au contraire, la gradation est tempérée par un maximum qui arrête subitement ses effets à un point déterminé. En ■outre, les intervalles sont ménagés le plus habilement possible, afin de ne léser trop IMPOT

gravement aucun intérêt. Au tarif mathématique se substitue alors, en général, un tarif arbitraire.

Ce simple exposé des conditions techniques d’établissement du tarif progressif n’est certainement pas de nature à prévenir en sa faveur. D’une part, la progression, livrée à elle-même, aboutit plus ou moins promptement à la spoliation. D’autre part, si les gouvernements veulent corriger le jeu excessif de son mécanisme spontané, Tarbitraire devient la seule règle. Spoliation ou arbitraire, tels seraient donc les derniers mots de l’impôt progressif 1 .

Nous ne contestons pas les conclusions rigoureuses qui s’offrent ainsi de prime abord à l’esprit et dominent la question. Cependant, avant d’en déduire la condamnation définitive de l’impôt progressif, il faut, au moins, rechercher s’il n’existe pas de circonstances atténuantes. Or, on en découvre de deux sortes et qui ne manquent pas d’importance,

° Le système progressif a été appliqué dans divers pays régulièrement organisés. ° Un certain nombre d’autorités en économie politique lui donnent leur approbation plus ou moins entière.

Dans les cantons suisses, où déjà nous avons signalé l’existence d’impôts sur le capital et sur le revenu, un tarif progressif est, en général, adapté aux uns et aux autres, tarif modéré d’ailleurs et limité à un maximum assez rapproché du point de départ. Ainsi, dans le canton de Vaud, en vertu de la loi récente du 21 août 1886, la fortune mobilière, répartie en sept catégories formées depuis 25 000 francs et au-dessous jusqu’à 800001 francs et au-dessus, supporte des taxes variant de 1 pour 100 à 4 p. 100 au maximum. La fortune immobilière y est répartie en trois catégories seulement, au-dessous de 25 000 fr., de 25 000 à 100000 fr. de 100001 fr. et au-dessus, tarifées respectivement 1 p. 100, 11/2 p. 100, 2 p. 100. Les cantons de Zurich, Zug, Saint-Gall, les Gri- [1]

  1. Condorcet a donné une définition qui se rapproche beaucoup de la nôtre : « L’impôt proportionnel, dit-il, est celui qui augmente dans la même raison que la valeur impoaée. L’impôt progressif est celui qui augmente plus qu’en proportion de la valeur imposée. >- (Sur l’impôt progressif, par -Condorcet, 1 er juin 1793.) . M. Léon Say écrit très justement : « Quand on dit d’un impôt qu’il sera perçu proportionnellement, on se fait comprendre de tout le monde ; il est absolument impossible de mettre de l’arbitraire dans un tarif proportionnel... Mais quand il s’agit de progression, c’est bien différent ; car il y a autant de progressions qu’où veut... La progression est donc naturellement arbitraire et c’est pourquoi ceux qui en sont partisans sont réduits à dire qu’ils se contenteront d’une progression modérée. Le mot de progression modérée n’est certainement pas une expression législative, et je ne vois pas comment on pourrait assurer la justiee en employant dans des lois des expressions qui présentent une idée aussi vague. Une imposition progressive, une progression modérée, ce n’est, en réalité, pas autre chose que l’arbitraire. » {Les Solutions démocratiques de la question des impôts, 1886, 3< conférence.