Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/263

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aussi sont grande s les difficultés delà seconde catégorie signalée, celles qui proviennent, pour l’observateur, de la nature de la science économique. Si dans les sciences physiques et naturelles les phénomènes sont multiples et variés, ils ne le sont pas moins en économie polique. Les faits sont innombrables, si Ton envisage, même du point de vue économique seulement, la vie de l’homme. Ces faits sont souvent contradictoires en apparence et ne semblent guère, au premier abord, pouvoir être classés. L’originalité de certains d’entre eux attire parfois invinciblement l’observateur qui se trouve ainsi détourné de sa voie. Et puis l’enthousiasme, la pitié, la haine, tous les sentiments que nous avons signalés comme pouvant être des causes d’erreurs, sont remués, exaltés, par le spectacle qu’offrent les misères et les grandeurs humaines. Il faut prendre l’homme tel qu’il est avec ses passions et ses préjugés. La méthode sera toujours impuissante à en faire un pur esprit . S’il était ce pur esprit, du reste, la science sociale ne serait pas longue à déterminer. L’homme est un instrument d’observation très imparfait, surtout en matière sociale, mais il a cet avantage de connaître ses imperfections. Nous savons que s’il ne peut apporter dans l’observation elle-même des corrections à toutes les causes d’erreur qui sont en lui, il arrive par le raisonnement à tenir compte de beaucoup d’entre elles. Ainsi ont fait souvent les astronomes dans leurs recherches. L’observation appliquée à la science économique est donc particulièrement délicate et difficile. Elle ne peut être menée à bien que par les esprits éclairés, assouplis déjà par des études générales et scientifiques aux idées de relativité. Cette vérité que nous pouvons déjà entrevoir ressortira encore plus évidente au cours de l’analyse succincte que nous essayons de faire dans les paragraphes suivants. b. Observation de l’homme, de la société, des agents naturels. —L’homme est l’unité irréductible dont l’agrégat constitue la société. Il est donc naturel qu’il soit le premier sujet d’observation. Sur ce point la philosophie a, depuis longtemps, devancé l’écomonie politique. C’est, comme nous le verrons dans l’historique, grâce aux études philosophiques antérieures, que les pkysiocrates (V. ce mot), envisageant le rôle de l’homme en tant qu’être social, ont pu construire leur système, ce remarquable monument de l’esprit humain dont les parties principales ont résisté à la critique et sont encore debout.

En économie politique, l’observation s’applique plus particulièrement à l’activité de l’homme en vue de la richesse. Mais si l’on est obligé, par nécessité, pour réduire et simplifier les problèmes,, de cantonner, pour ainsi dire, l’activité économique de l’homme, il est utile de connaître cette activité, dans toutes ses manifestations. Ainsi, par exemple, un fait général se présente tout d’abord à l’observateur, et ce fait est si simple qu’il ne semble pas même qu’il ait pu être méconnu et qu’il ait eu besoin d’être observé : c’est la tendance de l’homme à la conservation de l’espèce. L’économiste constate cette tendance et étudie les moyens qu’emploie l’homme pour y obéir. L’observation lui montre que ces moyens se résument, en ce qui concerne l’économie politique, dans la loi de l’économie des forces. Cette loi de l’économie des forces est la ligne droite du géomètre. Seulement, formulée abstraitement, elle ne paraît pas toujours répondre à la réalité des faits. Quand on dit : « l’homme cherche à obtenir le plus possible avec le moins de travail possible », on sous-entend une relativité qui peut s’exprimer ainsi : <c l’homme cherche à obtenir ce qu’il pense être un bien ou un bonheur pour lui, avec ce qu’il estime devoir être la moindre peine ».

Si l’on peut étudier la nature de l’homme, il est impossible d’étudier l’homme absolument isolé ; car, même à l’état sauvage, il vit par groupes, en relations plus ou moins étroites avec ses semblables. On observe, cependant, qu’en tout temps et en tout pays, il obéit suivant son intelligence et son degré de civilisation à cette loi de l’économie des forces. A la vérité des exceptions nombreuses semblent donner des démentis à ce principe ; mais l’obervateur qui ne voit point d’autres causes de la conservation de l’espèce et qui en même temps constate le fait de l’extension des sociétés humaines, joint cette vérification à ses observations premières et établit la loi. On peut faire dévier un fil à plomb de la verticale ; il ne tarde pas, après une série d’oscillations, à reprendre sa position première.

^ Il est donc impossible d’observer la société si l’on n’a déjà observé l’homme lui-même. Ce serait se créer, en effet, des difficultés presque insurmontables que d’observer la réunion de ces forces agissant entre elles, avant d’avoir étudié la nature de l’unité de forces. Descendre de la société à l’homme au point de vue de l’observation, est une opération plus compliquée que celle qui consiste à remonter de l’homme à la société. Cette connaissance de l’homme est un instrument précieux pour se reconnaître à travers l’enchevêtrement des faits sociaux, innombrables et si. divers. On peut reprocher à Platon d’avoir méconnu cette vérité. Il a vu, dans la société qu’il observe, l’homme instituer spon-