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humain et de la société humaine ne peut avoir de loi propre et indépendante ; elle doit dépendre des lois psychologiques et éthologiques qui régissent Faction des circonstances sur les hommes et celle des hommes sur les circonstances... Calculer d’après des lois fondamentales qui la déterminent une si longue série d’actions et de réactions entre les circonstances et l’Homme, dont chaque terme successif est composé d’une quantité et d’une variété toujours plus grandes de parts, est une opération au-dessus de la portée de l’entendement humain. La longueur seule de la série serait un obstacle insurmontable, puisqu’une légère erreur dans l’un quelconque des termes, augmenterait dans une progression rapide à chaque nouveau pas du calcul. »

Les causes d’erreurs, en ce qui concerne les documents historiques ou l’histoire, sont donc de deux sortes : elles peuvent provenir, soit de l’inexactitude des textes ou des faits rapportés — caries obstacles que nous avons signalés pour l’observation et qui dépendent de^ la nature humaine se retrouvent chez l’historien — soit d’une erreur de conception des problèmes généraux dont les énoncés ont le tort d’être très vagues ou trop étendus. Puis, l’histoire a des côtés attrayants qui poussent aux systèmes et suggèrent quelquefois des théories sentimentales, comme celle de Le Play par exemple, ou encore celles des socialistes de la chaire. Gela n’empêche pas la méthode historique d’avoir donné naissance à des idées absolues comme celles de Vico (voy. ce mot), auquel nous consacrerons quelques lignes dans l’historique. D’autres fois, au contraire, cette méthode, envisagée sous un autre aspect, a pour but l’accumulation de faits que, prudemment, on ne met pas en ordre, afin de ne pas construire de théorie fausse ou incomplète. On peut voir, par la démonstration de Mill, combien il est difficile d’assigner une limite aux observations dirigées suivant ce procédé exclusif, et de dire à l’observateur ; « Maintenant, arrête-toi ; tu as des matériaux suffisants ; il est temps de raisonner». La méthode historique ne peut réellement être un procédé fécond de recherches que si Ton relie les généralisations de l’histoire aux lois de la nature humaine. Mais cette condition nécessaire montre que la méthode historique employée seule est impuissante à donner des résultats. . La théorie initiale nécessaire. —L’analyse RATIONNELLE. — LES HYPOTHÈSES SCIENTI-FIQUES. — L’emploi des mathématiques. — S’il est un principe assez souvent mal compris et qui mène à de grandes erreurs bien qu’on le recommande en vue de les éviter, c’est celui qui

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MÉTHODE

consiste à aborder l’étude des phénomènes avec ce que l’on pourrait appeler l’impartialité scientifique. Sous prétexte de faire table rase, certaines personnes fort bien intentionnées, essaient d’oublier ce qu’elles peuvent savoir en matière économique ; elles poussent même parfois cette précaution jusqu’à considérer comme inutiles les œuvres de leurs prédécesseurs et se gardent prudemment de les étudier. Cet excès de précaution est un mouvement de réaction très réel et qui, autrefois, a été très nécessaire contre l’abus des données métaphysiques et théologiques. Aujourd’hui, les sciences ne sont soumises à aucune théorie officielle, à aucune croyance fixe ; la liberté d’écrire et de penser est pleine et entière, tout au moins dans la plupart des pays occidentaux ; il est donc difficile de comprendre que le commencement de la sagesse soit la crainte de ceux qui ont déjà observé, pensé et écrit sur les problèmes sociaux. Mettre de côté des travaux sous prétexte qu’ils ne donnent pas une solution absolue, n’est pas d’ailleurs un procédé économique au point de vue du temps, ni un procédé scientifique au point de vue de la recherche. Quelle qu’elle soit, une hypothèse ou une théorie considérée comme la plus probable en l’état déterminé d’une science, est un instrument, le seul instrument même dont dispose le nouvel investigateur, pourvu que cette hypothèse ou cette théorie soit établie par les moyens scientifiques en possession de ses auteurs. Ce fait est tellement évident qu’il peut être facilement constaté dans l’histoire de toutes les sciences. La loi de la population, telle que l’a numériquement formulée Malthus, est fausse ; cela n’empêche pas que les observations qui ont donné naissance à cette formule fausse contiennent, ainsi que les développements auxquelles elles ont donné lieu, une part assez grande de vérité. Et c’est à la suite de ces travaux de Malthus que le phénomène a été mieux analysé et sa démonstration dégagée des causes d’erreurs qui la rendaient obscure. Or, il est probable que Malthus s’est servi d’une observation de Stuart sur cette matière, comme Darwin, ainsi qu’il l’a raconté, a vu en germe la théorie de la lutte pour la vie dans V Essai sur la population de Malthus.

L’analyse rationnelle joue en toutes circonstances un rôle prépondérant. Elle a pour but d’essayer les différentes explications que l’on peut faire des phénomènes. Elle cherche précisément à ordonner les observations et les idées, à contrôler ces observations et ces idées pour les rattacher à une idée générale : elle constitue la science et est le seul mode de démonstration susceptible d’entraîner la