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mathématiques lorsqu’il écrivit, vers 1863, ses Principes de la théorie des richesses. Nous verrons, dans ce qui va suivre, que des économistes mathématiciens sortis de l’école de Cournot ont depuis donné de grands développements à sa méthode d’analyse. . Cournot, avons-nous dit, n’ignorait pas quels obstacles empêchaient que certaines lois économiques, celle de l’offre et de la demande (V. ce mot), par exemple, comme il l’indique lui-même, pussent être exprimées par des formules algébriques « puisque tant de causes morales et qu’on ne peut énumérer ni mesurer influent sur laloi delà demande ». Mais l’obstacle qu’il redoute le plus est celui de la détermination des données statistiques. En dehors de cette réserve, pour lui, la loi inconnue de la demande doit être introduite même au moyen d’un signe indéterminé dans les combinaisons analytiques. Les fonctions inconnues peuvent jouir en effet, de propriétés ou plutôt de certains caractères généraux parmi lesquels il en est de connus : elles peuvent être plus grandes ou plus petites qu’une quantité donnée, croissantes ou décroissantes, périodiques, etc. On les introduit, il est vrai, dans certains calculs relatifs à la physique et surtout en astronomie, parce que les hypothèses que l’on peut faire sur les autres caractères inconnus de ces fonctions sont assez limitées. C’est un peu suivant ce même procédé que l’on établit par comparaison ou par approximation des données hypothétiques qui ne doivent être d’ailleurs admises que lorsque leur exactitude offre de grandes probabilités. Et encore l’hypothèse, dans ces conditions, est loin d’être toujours une vérité. Ainsi Le Verrier avait calculé la distance de la planète qu’il cherchait, au soleil, en déduisant cette distance par hypothèse de la série de Titius. Or, par une sorte de fatalité, la loi de Bode, qui se trouvait justifiée jusque-là par la découverte d’Uranus et par celle de Cérès, fut précisément fausse pour la planète cherchée. La difficulté est encore bien plus grande en matière économique et surtout lorsqu’il s’agit de la loi de l’offre et de la demande, qui n’a pas de mouvements relativement aussi simples et aussi mathématiques que ceux des corps célestes.

Un des théorèmes de Cournot, le plus simple et le plus connu sur « la source minérale » a été étudié par M. Bertrand, l’éminent mathématicien, dans le Journal des Savants de i 883. M. Bertrand démontre que, dans l’hypothèse choisie, le problème ne pouvait avoir de solution, parce que certaines équations de condition, certaines hypothèses, non seulement ne satisfaisaient pas l’esprit, mais encore étaient contraires à la réalité des faits. En économie politique mathématique, la difficulté réside donc surtout dans la position de la question. Des différentes manières d’envisager un problème résultent souvent des solutions presque opposées. Il est, en effet, nécessaire après l’observation d’un phénomène complexe de choisir et d’arrêter les conditions du problème. Une fois les équations posées et le calcul commencé, le système tout entier de ces conditions est entraîné sans qu’un changement puisse se produire dans ces conditions, jusqu’au résultat, c’est-à-dire jusqu’aux solutions. En ce qui concerne l’offre et la demande, il faut arrêter le phénomène à un point déterminé, immobiliser en quelque sorte les facteurs, variables pourtant, du problème. Et comme c’est la continuité des phénomènes dont les manifestations n’obéissent à aucune loi de suite qui constitue la loi de l’offre et de la demande, il en résulte que les solutions obtenues par le ca)cul analytique répondent à un état hypothétique d’abord et en outre à un état temporaire « statique », comme l’a appelé très justement un économiste mathématicien anglais d’un sens critique très droit, M. Edgeworth. Une solution de cette nature peut, sans contredit, être intéressante ; elle ne donne pas néanmoins les causes des mouvements de l’offre et de la demande, dans leur tendance vers l’équilibre. Cette difficulté tient à la nature des choses, elle réside dans l’énoncé du problème, dans l’impossibilité où Ton se trouve de tenir compte pour chaque phénomène de l’ensemble si variable de tous les autres ; et la pensée, aidée même par cet instrument supérieur d’analyse, les mathématiques, apparaît impuissante à résoudre des problèmes de cet ordre. Il en serait ainsi en histoire naturelle, si Ton cherchait à déterminer sur un immense espace de terrain les actions réciproques de chaque plante particulière dans l’absorption des éléments nécessaires à leur nutrition. Les obstacles seraient déjà grands si l’on n’envisageait qu’une seule espèce de plante, si Ton s’attachait à étudier pourquoi l’une est plus vigoureuse que l’autre et quels rapports les lient toutes les deux à l’ensemble de tous les phénomènes qui les font vivre ou dépérir, si l’on essayait d’analyser ce que chacune a puisé d’éléments nécessaires à sa nutrition dans les immenses réservoirs, la terre et le ciel, où ces éléments sont répandus en quantités indéterminées. Ces innombrables actions réciproques de la lutte pour la vie dans le monde végétal échappent à l’investigateur qui cependant détermine la loi générale de vie de toutes les plantes et connaît les condi-