Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/273

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

tions d’existence de chacun d’elles. Nous sommes obligés, en l’état actuel de la science, de nous contenter en économie politique de formuler aussi des lois générales — lois de résultats — sans entrer dans les causes multiples et insaisissables des actions de l’homme. Herbert Spencer a démontré, par une simple description, les obstacles qui se présentent dans l’analyse rationnelle des détails en science économique : « Cherchons dit-il — à propos de la loi de l’offre et de la loi demande — les facteurs qui concourent à déterminer un problème simple : la fixation du cours des cotons par exemple. Ce sera le meilleur moyen de faire sentir la complexité extrême des actions sociales et, par suite, la difficulté de compter sur des résultats spéciaux. Un fabricant de calicot doit décider si, au prix courant, il augmentera son stock de matière première. Avant de prendre un parti, il tâche de savoir si les manufacturiers et les marchands en gros de son pays ont des approvisionnements de calicot considérables ; si une baisse récente n’a pas engagé les détaillants à se monter en cotonnades ; si les marché étrangers et le marché colonial sont encombrés ou non ; enfin, quelle est actuellement et quelle semble devoir être dans l’avenir la production des calicots étrangers. Quand notre manufacturier aura calculé la demande probable du calicot, il lui faudra prendre des renseignements sur les achats de coton faits par ses confrères, savoir si ceuxci attendent la baisse ou s’ils ont acheté en prévision d’une hausse. Il jugera, par les circulaires des courtiers, de la situation des spéculateurs de Liverpool ; il devinera si les stocks sont considérables ou non et s’il y a beaucoup de cargaison en route. Il aura aussi à prendre note des cours des cotons et de l’importance des stocks à la Nouvelle -Orléans et dans tous les autres ports cotonniers du globe. Viendront ensuite les questions sur l’apparence de la récolte dans les États-Unis du Sud, dans l’Inde, en Egypte, etc. Voilà déjà des facteurs assez nombreux ; mais il s’en faut que ce soit tout. La consommation du calicot, par suite de la consommation du coton et, par conséquent, le prix du coton dépendent en partie de la production et des prix des autres fabriques textiles. Si le calicot augmente parce que la matière première devient plus rare — fait que nous avons vu se produire pendant la guerre de Sécession — le public se rejette sur les tissus de fil et le mouvement de hausse se trouve enrayé. Les fabriques de lainage peuvent aussi, jusqu’à un certain point, entrer en concurrence. À côté de la concurrence du bon marché il y a la concurrence de la mode qui peut à tout moment changer. « Avons-nous enfin nommé tous les facteurs ?

En aucune façon. Nous n’avons pas 

tenu compte de l’opinion des gens d’affaires. L’opinion des acheteurs et des vendeurs sur les prix futurs n’est jamais qu’une approximation qui se trouve souvent très éloignée de la vérité.... » (Herbert Spencer, Introduction à la science sociale, en. i, p. 19). Limité à certains problèmes spéciaux à énoncés très simples, l’emploi des mathématiques peut servir à simplifier de longues et laborieuses dissertations analytiques ; néanmoins il est toujours nécessaire de faire intervenir le raisonnement et des considérations particulières lorsqu’il s’agit de discuter des solutions nombreuses parfois, et souvent aussi indéterminées. Mais il serait injuste de ne pas reconnaître que les mathématiques assouplissent l’esprit, le portent à plus d’exactitude et de circonspection. Il est assez intéressant de remarquer que Cournot, qui débuta par analyser l’économie politique au moyen des mathématiques, qui, ensuite, écrivit son Traité de V enchaînement des idées fondamentales dans les sciences et dans l’histoire (1861), puis ses Principes de la théorie des richesses, conclut, après trente et quelques années d’études, dans l’un de ses derniers ouvrages, Considérations sur la marche des idées et des événements dans les temps modernes, dans les termes suivants :

« Nous sommes sûrs, écrit-il (livre V, chapitre vn) que notre mécanique, notre physique, notre chimie, ne sont pas de purs amusements de l’esprit, quand la nature nous offre, dans la structure des êtres animés la copie ou le modèle de nos poulies et de nos leviers, de nos filtres. Donc nous avons des motifs de croire que les conditions qui rendent pour nous la science possible sont aussi les conditions qui dans le plan de la nature président à l’apparition des phénomènes dont la science s’occupe et c’est ce que nous avons taché d’établir en rappelant les circonstances qui favorisent, de plus en plus, l’avènement de la liberté économique. » On a poussé très loin l’emploi des mathématiques en économie politique, mais l’usage de ce procédé d’analyse — impuissant du reste devant les problèmes complexes — ne sera toujours qu’aux mains d’un petit nombre. Nous n’avons point à citer ici les ouvrages écrits suivant cette méthode ni les noms de leurs auteurs ; signalons ’toutefois parmi les économistes mathématiciens les plus connus, Stanley Je vons, mort il y a quelques années ; M. Léon Walras, qui a fait de très intéressantes études sur l’échange et la valeur ; M. E.-V. Edgeworth ; eto