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Comte, de les avoir propagées en les rendant plus claires et en les corrigeant, sur plus d’un point, de la manière la plus heureuse 1 . Avant lui, en Angleterre, Bacon, dans son Novum organum, de même qu’avant Comte, en France, Quesnay, Turgot, Gondorcet n’avaient fait qu’entrevoir la science sociale. Ils avaient, à son sujet, des pressentiments plutôt que des doctrines.

. Doctrine sur la méthode dans les sciences morales.

Après la question de savoir si une science existe, la plus importante est, sans contredit, celle de savoir quelle est la méthode qui lui convient. Par malheur, en ce qui concerne la science sociale, il n’en est pas de plus difficile et sur laquelle les meilleurs esprits soient plus divisés.

Nul n’a traité de la méthode dans les sciences morales avec autant de vigueur et de pénétration que Stuart Mill. Nul n’aura plus contribué que lui à formuler, sur ce point, quelques-unes des conclusions qui semblent devoir être définitives. Deux « méthodes fautives » (p. 468-488) sont, tout d’abord, écartées par lui, comme inapplicables (V. Méthode) à la recherche des lois des phénomènes sociaux : 1° la méthode chimique ou expérimentale, 2° la méthode géométrique ou abstraite. La première, d’après lui, « serait le fait de personnes peu habituées à l’investigation scientifique ». La seconde serait particulière à des esprits réfléchis et studieux, mais ayant le tort de considérer la géométrie comme le type de toute science déductive.

Reste une troisième méthode, « la méthode déductive propre aux sciences physiques les plus complexes », que Mill appelle « méthode déductive concrète ». C’est elle qui seule, d’après lui, pourrait servir « dans l’investigation des phénomènes sociaux ». Cette doctrine a été très vivement attaquée. Nous craignons qu’elle ne Tait été, plus d’une fois, par des personnes ne rayant pas très bien comprise 2 et ayant oublié que Stuart Mill a été l’adversaire résolu de la métaphysique et de la méthode intuitive 3 . Elle peut se résumer de la façon suivante. . Il reconnaît lui-même (p. 5,33-534) que la croyance aux lois générales des phénomènes sociaux « était presque une nouveauté » eu Angleterre en 1843. . V. en particulier, M. Macleod, Principles of Economical pkUosophy, 2 e édit, t. I, p. 19 et suiv. . « La pensée que les vérités extérieures à l’esprit, écrit-il dans le 11 e livre du S ?jstème de logique, peuvent être acquises par intuition, indépendamment de l’observation et l’expérience, est, j’en suis convaincu, en ce temps-ci, le grand auxiliaire des fausses doctrines et des mauvaises institutions ».

L’observation et l’expérience sont le point de départ nécessaire et unique de toutes les opérations de notre esprit et de toutes nos conceptions. Mais, une fois nos premières idées formées, tout élément métaphysique étant rigoureusement exclu, la déduction est, en soi, un procédé aussi nécessaire et aussi légitime que l’induction. Il ne s’agit pas de choisir entre les deux. Il s’agit de les faire concourir tous les deux à la découverte la plus rapide et la plus sûre de la vérité, en les employant avec discernement, en appliquant l’un d’eux de préférence à l’autre, selon que le comporte la nature des différentes catégories de phénomènes. Or, qui pourrait nier que l’extrême mobilité des phénomènes sociaux et leur extrême complexité n’ opposent un double et presque insurmontable obstacle à l’emploi de l’observation et de l’expérimentation ? Ainsi présentée, nous n’hésitons pas à dire que la doctrine de Stuart Mill nous paraît contenir une grande part de vérité *. Sa faiblesse, à nos yeux du moins, tient uniquement à une exagération des difficultés que rencontre l’application de l’observation et de l’expérimentation aux phénomènes sociaux. Il serait facile de prouver, par de très nombreux exemples, que non seulement l’observation, mais l’expérimentation elle-même portant sur des phénomènes sociaux, fournissent, quoi qu’en dise Stuart Mill, des résultats d’une incontestable valeur 2 . Nous trouvons encore dans le VI e livre du Système de logique, explicitement énoncées et justifiées, deux distinctions qui dominent manifestement la science sociale et ses diverses branches. C’est, en premier lieu, la distinction entre la statique sociale qui a pour but la recherche des lois de coexistence des phénomènes contemporains, et la dynamique sociale qui considère les phénomènes dans le temps et qui recherche les lois de leur succession (p. 516 et suiv.). C’est, en second lieu, la distinction entre la science qui constate des faits et les explique en trouvant leurs lois et l’art qui « se propose une fin à atteindre et s’exprime par des règles, des préceptes ou des conseils ». Il n’y a rien à ajouter aux pages de premier ordre dans lesquelles Stuart Mill analyse et explique cette dernière distinction vraiment capitale (p. 549-571).

Nous mentionnerons enfin, en nous bornant à y renvoyer, les pages consacrées à la . Tous ceux qui liront avec attention les chapitres vu, vin et ix partageront certainement notre manière de voir. "2. V. sur ce point les très intéressants développements contenus dans l’Appendice qui accompagne la Politique expérimentale (2 e édition), par Léon Doouat.