Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/289

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cautions nécessaires pour garantir de tout dommage le propriétaire de la surface, et il ajoute que celui qui, usant de cette liberté, creuse le terrain sous le terrain d’ autrui, devient à titre de premier occupant propriétaire des ouvrages qu’il a faits sous terre et des matières qu’il a extraites, sans cependant rien acquérir de plus. Comme on eût pu lui objecter l’intérêt que la société doit avoir à ce que les gîtes minéraux fussent mis en valeur de manière à assurer une exploitation régulière et durable, il y répondit de la façon suivante : « 1° Puisque l’entreprise d’une mine est au-dessus des forces de tout propriétaire qui n’a qu’un bien médiocre, la crainte que chaque propriétaire n’ouvre sur son terrain est chimérique. Quel homme serait assez extravagant pour faire tes mêmes dépenses qu’un exploitant déjà en activité, avec le désavantage d’avoir été prévenu et de se trouver en concurrence avec une exploitation déjà montée ? 2° La crainte qu’un propriétaire de mauvaise humeur n’arrête par un refus capricieux l’exploitation d’une mine est une crainte chimérique, et l’intérêt réciproque des deux parties est un garant sûr qu’elles s’accorderont ».

Ces principes furent discutés devant l’Assemblée constituante, mais l’auteur du Rapport fait au nom des comités de constitution des finances, d’agriculture et du commerce, après avoir soutenu comme Turgot et à peu près par les mêmes considérations, que la propriété de la surface n’emportait pas celle du dessous, en conclut que cette propriété appartenait à la société et à son représentant l’État ; il combattit la théorie de la liberté illimitée de l’exploitation, en soutenant qu’elle aurait pour résultat le gaspillage des mines et la prompte diminution des produits. Quelques orateurs proposèrent de borner le droit de l’État à une simple surveillance dans l’intérêt des travailleurs et de la bonne conduite des travaux ; d’autres défendirent la doctrine de la double propriété du fonds et du tréfonds entre les mêmes mains. Le système qui l’emporta fut celui de Mirabeau, qui consistait à décréter que les mines sont à la disposition de la nation, en ce sens que c’est à la nation de les concéder d’après des règles particulières. Voici comme il la défendit : « Ce serait, dit-il, une absurdité de dire que les mines sont à la disposition de la nation dans ce sens qu’elle pût ou les vendre ou les faire administrer pour son compte, ou les régir à l’instar des biens domaniaux, ou les concéder arbitrairement. Le système que je soutiens a des bases toutes différentes. Il se fonde sur ce principe que la nation a droit à l’exploitation des mines ; qu’ayant le plus grand intérêt à cette exploitation, elle a le droit d’exiger qu’elle se fasse, qu’elle se fasse bien et qu’elle doit prendre, par conséquent, des mesures pour ne pas courir, sur cet objet de première nécessité, toutes les chances de la négligence ou du. hasard. Ce n’est point assez de surveiller les mines qui seront exploitées, il faut encore qu’on puisse provoquer en quelque sorte l’exploitation de celles qui seront négligées. Or, ce droit excède celui d’une simple surveillance, La nation ne peut provoquer utilement l’exploitation si elle n’a pas le droit de concéder une mine que le propriétaire refusera d’exploiter ; et cette concession serait illusoire si la nation n’avait pas le droit delà garantir. Si la nation peut et doit concéder les mines, les mines, sous ce rapport et dans ce sens, sont donc à la disposition nationale. Mais comme elle ne peut les concéder qu’en vertu de son droit à leur exploitation, il s’ensuit : 1° que le propriétaire exploitant doit être maintenu, car l’intérêt public est alors rempli, et par là on prévient pour l’avenir toutes les iniquités dont s’était souillé l’ancien régime ; 2° que le propriétaire qui veut exploiter doit être préféré, car c’est le propriétaire du sol qui est en quelque sorte débiteur envers la société de l’exploitation de la mine qui est à sa portée ; 3° qu’il est inutile de concéder les mines dont l’exploitation est forcée, qui sont peu profondes et par couches horizontales, car pour ces mines, la nation doit s’en rapporter à l’intérêt des propriétaires, et l’on n’a pas besoin de provoquer ce qui est facile à exécuter ». Mirabeau, passant ensuite en revue les autres systèmes autres que le sien, combat la théorie de l’inventeur à laquelle se rattachait Turgot : «Je ne dirai qu’un seul mot du système du premier occupant : il ferait de nos mines un labyrinthe inextricable. Ce genre de conquête au milieu de l’état social laisserait les mines au hasard, ne permettrait pas même d’accorder la préférence au propriétaire du sol, offrirait un combat perpétuel entre les mineurs et serait une source intarissable de querelles. Si l’on admet que le concessionnaire soit regardé comme le premier occupant, il est facile de s’entendre ; mais si Ton soutient que le premier occupant, pour avoir touché une mine en traversant un mur mitoyen, n’aura pas besoin de concession, on n’aura bientôt d’autres mines que des mines de procès. Si un premier occupant creuse sous mon fonds sans m’avertir, je puis aussi fouiller le sien sans lui rien dire ; eh bien, il y aura toujours à parier mille contre un que l’un des deux sera noyé ou écrasé par l’autre ». L’intervention de Mirabeau nous valut la