Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/327

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blement méritée par l’incontestable prédominance de leurs inconvénients sur leurs avantages. Les choses ont changé de nos jours. Les monopoles qui subsistent, devenus moins vexatoires, sont moins sévèrement jugés. Les inconvénients qui s’y "attachent sont loin de passer inaperçus, mais on les tient susceptibles d’atténuation et on reconnaît qu’ils peuvent parfois être compensés par des avantages.

Il importe, pour déterminer avec quelque exactitude les effets des monopoles, de considérer séparément les monopoles exercés par les particuliers et ceux exercés par l’État ou par la commune. Les premiers, à leur tour, doivent être divisés en monopoles libres et monopoles réglementés. Nous prendrons comme exemple de monopole libre celui qu’exercerait un particulier ou une compagnie, après avoir accaparé la totalité d’un produit, ou le monopole de l’inventeur d’un produit nouveau. L’effet ordinaire du monopole, ici, est double. C’est, d’une part, la hausse du prix du produit. C’est, d’autre part, l’abaissement de la qualité du produit, ou, du moins, l’absence d’amélioration. Ce double effet s’explique naturellement par le désir du vendeur de réaliser le gain le plus élevé possible et par la certitude de n’être supplanté par personne auprès des consommateurs. Dans quelle mesure et jusqu’à quel point se manifestera-t-il ?

On ne peut le dire d’une façon 

précise. Ce qui est certain, c’est que la hausse du prix et l’abaissement de la qualité du produit pouvant amener la réduction ou la cessation complète de la consommation, se trouveront limités par là même. La limite sera d’autant plus proche, qu’il s’agira d’objets de consommation peu nécessaires et peu recherchés, et d’une clientèle à ressources restreintes. Ajoutons que le grand nombre des acheteurs peut être quelquefois la condition la plus sûre de gros bénéfices et que le monopoleur pourra se trouver ainsi porté à fixer un prix relativement modéré. Mais il faut convenir que, quelquefois aussi, le monopoleur peut avoir intérêt à diminuer le nombre de ses clients et à vendre une petite quantité de produits à un prix élevé, plutôt qu’une grande quantité à un prix moindre.

A côté et en compensation de ces inconvénients — hausse du prix, abaissement de la qualité du produit — peut-on signaler d’autres effets qui constitueraient des avantages ?

Il en est généralement signalé deux : 

1° suppression des frais de publicité et de réclame inhérents à la libre concurrence et supportés finalement par les consomma- , !

teurs ; 2° suppression des pertes résultant des crises de surproduction locale et des erreurs inévitables sous le régime de la concurrence 1 . Nous pensons que l’on exagère notablement, en parlant de suppression, là où il ne peut y avoir que simple diminution. Il nous paraît que le double avantage signalé ne se rencontre pas toujours 2 ; et il serait facile de prouver qu’il est loin, quand il se rencontre, de l’emporter sur le double inconvénient que personne ne conteste. Il faut, au surplus, pour que ce double avantage ait quelque chance d’être prédominant, que les monopoles, au lieu d’être libres, soient réglemen-’ tés.

La réglementation des monopoles des par-j ticuliers ou des compagnies a presque toujours pourbut d’atténuer leurs inconvénients, soit quant au prix, soit quant à la qualité des produits. Et il est vrai de dire que ce but est, ou, si l’on préfère, pourrait être atteint dans une mesure appréciable. Mais si la réglementation empêche le monopo-, leur de hausser arbitrairement ses prix et d’abaisser, à son gré, la qualité de ses produits et de ses services, elle ne saurait l’obliger à réaliser dans son industrie des améliorations dont bénéficierait le consommateur. Seule, la libre concurrence peut, au plus haut point, provoquer ces améliorations. Leur absence est l’effet nécessaire des monopoles — si sagement réglementés qu’ils puissent être. Resterait à savoir si — réglementés ou libres

— les monopoles concédés à des particuliers et exercés par eux, à leurs risques et périls, peuvent quelquefois provoquer des inventions heureuses ou la fondation d’industries nouvelles qui, sans eux, ne se seraient jamais produites ; auquel cas, les avantages l’emporteraient évidemment sur les inconvénients. Il est permis, selon nous, d’élever sur ce point les doutes les plus sérieux. C’est de la liberté du travail et non de la réglementation et du monopole que les inventions ont besoin pour apparaître et se multiplier ; l’histoire des corporations de métiers en a fourni, cent fois, la preuve décisive. Pour dégager les effets des monopoles exercés par l’État, il ’suffit, croyons-nous, après avoir reconnu le but en vue duquel ils ont été établis, d’examiner : 1° si et comment leur but est atteint ; 2° à quel prix ; 3° si l’initiative privée laissée libre ne fournirait . V. sur ce point, Michel Chevalier, Cours d’économie politique (2 e année), 3° leçon. . « L’ erreur est possible avec le monopole comme avec la concurrence, dit très justement M. Courcelle-Seneuil (t. I, p. 421) ; or, avec le monopole elle n’a aucun correctif, taudis que la concurrence présente non seulement un correctif pour le présent, mais un stimulant à l’invention pouf l’avenir. »